Le pianiste français Roger Muraro est l’un des rares pianistes à oser s’attaquer à la transcription que fit Liszt de la Symphonie Fantastique d'Hector Berlioz. Car cette œuvre colossale est exigeante à tout point de vue : outre de mettre à l’épreuve l’endurance du pianiste, elle requiert de lui une palette sonore d’une richesse au moins à la mesure de l’orchestre.
Pari réussi en ce dimanche matin, où Roger Muraro nous a prouvé une fois de plus que le piano est un instrument qui n’est pas que noir et blanc.
L'interprète avait choisi de faire précéder le gros-œuvre du concert par les Waldszenen (Scènes des bois) de Robert Schumann. Manière toute poétique d’amener l’auditeur dans un état de réceptivité dans l’écoute qui vient peut-être moins naturellement que le soir, à l’heure habituelle des concerts, quand l’estomac est repu des évènements de la journée. Dès l’abord le jeu de Muraro est bien dosé, il sait rendre avec beaucoup de finesse la naïveté et la fraîcheur apparentes des Waldszenen, notamment par un souci constant des phrasés et de l’équilibre sonore. La septième de ces neuf miniatures, « L’Oiseau-prophète », sonne comme un Ovni dans ce cycle, par son mystère, son étrangeté et surtout sa modernité qui annonce Ravel. Elle n’est d’ailleurs pas sans rapport musical avec la « Forlane » du Tombeau de Couperin de ce dernier. Muraro sait transmettre à merveille la fragilité de cette pièce.
Vient en suite la Symphonie Fantastique, œuvre maîtresse dans l’œuvre de Berlioz, et révolutionnaire dans l’histoire de la musique, notamment par son rapport à la narration et la richesse des images qu’elle convoque. C’est une des premières musiques à programme, et voici l’incipit de la version de 1855 :
« Un jeune musicien d’une sensibilité maladive et d’une imagination ardente, s’empoisonne avec de l’opium dans un accès de désespoir amoureux. La dose de narcotique, trop faible pour lui donner la mort, le plonge dans un lourd sommeil accompagné des plus étranges visions, pendant lequel ses sensations, ses sentiments, ses souvenirs se traduisent dans son cerveau malade en pensées et en images musicales. La femme aimée elle-même est devenue pour lui une mélodie et comme une idée fixe qu’il retrouve et qu’il entend partout. »
Le propos est assurément autobiographique, et le jeune poète est Berlioz lui-même, alors amoureux de l’actrice irlandaise Harriet Simpthon, qu’il essaye de séduire. Chacun des cinq mouvements présente un épisode de la vie du jeune poète : « Rêveries-Passions, un Bal, Scène aux champs, Marche au supplice, Songe d’une Nuit de Sabbat », qui ont pour point commun le thème de l’être aimé, récurrent dans toute l’œuvre. Franz Liszt, qui a rencontré Berlioz la veille de la création en 1830, est impressionné par cette œuvre et demande aussitôt à Berlioz l’autorisation de la transcrire pour piano. C’est le début d’une amitié qui durera plus de 35 ans.