C’est le soir, lors de l’Alpenglühen, que le spectacle est le plus saisissant. Une masse minérale imposante, surplombant les alpages qui tintent au son des clarines, s’illumine de couleurs ocre, puis mauves, avant de s’éteindre dans la nuit. Classés au patrimoine mondial de l’humanité depuis 2009, les Pale di San Martino sont l’archétype de ces paysages dolomitiques que l’on retrouve dans la partie orientale du Trentin : des pointes dramatiques, s’élevant à la verticale avec la majesté d’une cathédrale en ruine. Mais il serait faux de croire que la région ne s’offre que dans une beauté naturelle muette. Dynamique, le Trentin est riche d’un patrimoine culturel et gastronomique remarquable, et la musique y résonne de toute part.
Le festival I suoni delle dolomiti est assurément l’événement le plus important. Destinés aux amateurs de musique et de montagne, les concerts ont lieu en plein air, au sein d’amphithéâtres naturels. Une grande partie du plaisir tient cependant en amont. Une randonnée de quelques heures est proposée avant chaque concert le long de chemins muletiers permettant d’apprécier sous différents angles ces massifs dolomitiques dont l’histoire est retracée au musée géologique de Predazzo. Deux treks de trois jours sont également organisés pour les marcheurs les plus expérimentés, l’occasion de partager avec les musiciens – qui portent leur propre instrument – une aventure sans commune mesure avec l’expérience du concert habituelle dans un auditorium citadin.
Les cordes frottées sont particulièrement mises à l’honneur, et le festival a accueilli des interprètes de la trempe d'une Isabelle Faust ou d'un Mischa Maisky. La mémoire de leur passage est préservée, loin des sentiers battus, dans le Bosco che Suona sur les hauteurs de Val di Fiemme. Des plaques signalent aux visiteurs quel arbre, parmi les épicéas qui abondent dans la région, a été choisi par tel ou tel musicien. Ici Gidon Kremer, là Daniel Hope, plus loin encore Mario Brunello. Cette élection donne lieu à une cérémonie intime, durant laquelle le garde forestier décrit l’arbre adopté, en présente l’histoire et les caractéristiques. « A chaque fois, l’artiste se retrouve dans cette description », indique Anna en charge de la forêt, « l’interprète choisit toujours un arbre qui lui correspond ».
La forêt de Paneveggio, s’étendant sur plus de 10 000 hectares, est célèbre pour la qualité de ses épicéas. C’est là que les luthiers de Crémone, Antonio Stradivari en tête, se sont approvisionnés pour construire leurs célèbres instruments dont ils ont établi la norme absolue pour les générations futures. « Le violon est une merveille technologique », s’enthousiasme Giuliano, que 30 ans à la tête du domaine ont rendu expert naturaliste, « on a essayé d’apporter des modifications, de changer les matériaux, mais le modèle défini au 17e siècle reste indépassable ». Encore aujourd’hui, les luthiers affluent du monde entier pour se fournir ici en matière première.
Les conditions météorologiques idéales sont en effet réunies pour permettre aux arbres une croissance régulière, facteur indispensable à la production du legno di risonanza. Un tel bois demeure cependant exceptionnel. Seul 1% de la production répond à ces critères, le reste approvisionnant ébénistes et constructeurs industriels. L’arbre est abattu une fois arrivé à maturité, âgé d’environ 150 ans. Mais ce n’est qu’une fois le tronc coupé que Giuliano peut établir si le bois est susceptible de convenir à un travail de lutherie. Il faut que les cernes annuelles soient régulières, rapprochées et parfaitement parallèles. Pour que la propagation du son soit optimale, il faut par ailleurs que les linéaments soient dégorgés au maximum de la sève. Deux moyens artisanaux permettent d’y parvenir. L’arbre est soit abattu à la pleine lune de décembre, au moment où la gravité exercée par le satellite est la plus forte et extirpe la sève du tronc jusque dans les branchages, soit jeté dans le torrent Travignolo après la coupe. L’eau, naturellement aspirée à la base du tronçon, draine toutes les impuretés. Le résultat est un bois d’une densité extraordinairement faible, habitué par ailleurs aux phénomènes vibratoires par le vrombissement naturel du torrent.