Ancien chanteur, Maurice Xiberras est depuis 2013 le directeur général de l’Opéra de Marseille dont il était auparavant le directeur artistique. En sa qualité d'organisateur du Concours international de chant de Marseille, nous l’avons retrouvé pour évoquer ce rite de passage important que représentent les concours de chant lyrique, permettant aux jeunes artistes de faire leurs premiers pas sur la scène internationale.
De quelle manière êtes-vous impliqué dans les concours lyriques ?
Maurice Xiberras : Je suis souvent sollicité en qualité de jury, mais l’Opéra de Marseille organise également ses propres concours.
J’ai été chanteur pendant vingt-deux ans, je sais donc à quoi peut servir un concours à l'orée d'une carrière. C'est le moyen principal pour un jeune chanteur de se faire entendre. Réciproquement, c’est le moyen pour les directeurs de salle de repérer de jeunes talents.
C'est ainsi que j’ai décidé de relancer le concours de l’Opéra de Marseille, au passé prestigieux. À l'origine, il a été créé par une association qui n’existe plus aujourd’hui. Elle organisait un concours tous les deux ans, lequel avait lieu dans les murs de l’Opéra de Marseille. Ce concours a ainsi permis de découvrir de grands chanteurs : Luca Lombardo, Ernesto Grisales, Marc Barrard… Quand l’association s’est éteinte, j’ai voulu que l’Opéra de Marseille reprenne ce concours en remplaçant l'orchestre par un piano. Si cette première édition est un succès, nous essaierons de l'organiser avec orchestre les prochaines fois.
En quoi une maison d’Opéra a-t-elle un rôle à jouer dans l’organisation de concours ?
M. X. : Les jeunes chanteurs ont tendance à s’inscrire plus volontiers si le concours est porté par une maison d’Opéra, plutôt que par une association. Un théâtre qui a une véritable saison lyrique sera plus porteur vis-à-vis des jeunes talents, car ils peuvent légitimement se dire qu’ils vont être entendus et, pourquoi pas, s'y faire engager.
En outre, dénicher de nouveaux talents est une mission qui fait partie à part entière de la vie d’un théâtre.
Est-ce que vous donnez des contrats à des chanteurs que vous avez pu repérer lors de concours ?
M. X. : Dans un concours, il y a souvent beaucoup d’appelés pour peu d’élus. En pratique, si j’arrive à me rappeler de trois ou quatre personnes, c’est que la promotion est de qualité. Cela signifie surtout que ces personnes ont un potentiel pour que je les engage. Si j’entends quelqu’un qui a du talent, je l’engage sans problème. Parfois, il s’agit de véritables prises de risques, notamment à cause des « bêtes à concours ». Ces « bêtes à concours » sont des chanteurs qui sont très performants sur deux ou trois airs et qui font la tournée des concours internationaux pour tenter de rafler un prix. Or être performant sur un air ne présage en rien de la capacité à pouvoir interpréter la totalité d’un rôle. Ce phénomène s’explique surtout par le fait que, dans certains pays, il suffit d’avoir un prix à un concours pour pouvoir enseigner le chant.
Chanter devant un jury de professionnels à un moment de forte concurrence, développer la psychologie d’un personnage en un temps réduit et en peu de répétitions : l’exercice semble d’une difficulté inouïe. Pensez-vous que le concours reflète le métier de chanteur d’Opéra ?
M. X. : Oui, cela rejoint notamment l’apprentissage de la solitude. Mais vous touchez du doigt les limites du concours. C’est pour cela que je tente de faire la part des choses. Quand on arrive en finale d’un concours, qu'on a surmonté toutes les étapes de sélection, cela prouve beaucoup de choses. Gérer un concours, c’est gérer tout un parcours, gérer l’attente. Les chanteurs arrivent parfois le matin et ne chantent qu'en fin d’après midi. Ils entendent les autres et ne voient le pianiste, dans le meilleur des cas, que cinq minutes avant de chanter. Ces conditions ressemblent à une course d’obstacles. C’est pour cela que lorsqu’on arrive sur la ligne d’arrivée, à la finale, je dis « chapeau ! ». C'est pourquoi j’ai toujours tendance à être indulgent, car le concours met les nerfs des candidats à rude épreuve. J’ai beaucoup de bienveillance pour les chanteurs car je connais vraiment la difficulté de ce métier, les heures passées derrière les partitions, l’angoisse… Le concours confronte le jeune chanteur à une dure réalité : beaucoup de candidats et peu d'élus et la nécessité d’être performant de suite.
Quel est selon vous le programme idéal ?
M. X. : Je recommande aux jeunes chanteurs de présenter des airs en plusieurs langues dont au moins un en français. Le français permet d’entendre certaines qualités d’articulation et de phrasé.
Ensuite, j’aurais tendance à dire qu’il ne faut pas chercher à chanter un air que l’on sait au dessus de ses capacités vocales. Par exemple, si un ténor n’a pas un ut dans la voix, je ne vois pas l’utilité qu’il présente « Salut demeure chaste et pure » de Faust.
La construction d’un programme de concours doit être très équilibrée, exactement comme pour un récital. En principe, il doit y avoir une progression, ce qui signifie qu’il faut éviter de tout donner dès les éliminatoires.
Lorsque je chantais, j'hésitais toujours entre présenter des airs que j’avais envie de chanter, en sachant que je ne pouvais pas chanter l’intégralité du rôle, et l'envie de prouver quelque chose. Le professeur de chant doit savoir dire « stop. » et guider les jeunes chanteurs.