C’est une grande salle Pierre Boulez clairsemée qui accueille Arcadi Volodos. Pourtant cet immense artiste tire chaque année de son piano une palette sonore absolument unique, d’une poésie sublime au-delà de l’imagination. Sa science de la nuance est à en perdre la tête : chaque pianissimo l’est davantage que le précédent alors que les forte résonnent tout en puissance sans heurter brutalement le tympan. Quelle que soit l’intensité de la note, le son remplit au millimètre cube près l’espace sonore de la salle. Aucun écho résiduel pour une immersion totale dans la musique, dont la direction narrative laisse toute pensée parasite au vestiaire. Pianiste démiurge, Arcadi Volodos crée un monde de chaque note, un univers de chaque œuvre, liant dans des résonances éthériques subtiles tous les éléments de cette cosmogonie.
La Sonate en la mineur D.845 de Schubert est interprétée tout en nuances d’argent. Le premier mouvement est baigné d’un climat fantastique, hanté par son premier motif à peine murmuré sous les doigts du pianiste. Le thème et variations qui suit exprime avec mélancolie les sentiments d’une vie entière, avec des passages d’une douceur incomparable. Le troisième mouvement décrit une scène sylvestre : des appels de cors s’interpellent, se rejoignent et s’éloignent dans un ballet spatialisé, avant de se recueillir lors du trio central, laissant dormir innocemment quelque créature merveilleuse au clair de lune. Ce moment de pure poésie vaut à lui seul l’ensemble de la programmation de la Philharmonie de Paris. Légèrement moins lisible, le véloce quatrième mouvement referme d’un flux miroitant parfois impétueux cette interprétation d’anthologie.
Comme elle est somptueuse, la couronne de David : sertie de gemmes multicolores et baignant de lumière, elle est finement ciselée de bas-reliefs où l’on voit les dix-huit scènes dansantes des Davidsbündlertänze que raconte Schumann en musique. Arcadi Volodos y dévoile un sens des silences et des enchaînements extraordinaire. Parfois à la limite de la bousculade, parfois posément, parfois dans un fondu imperceptible, les mouvements se suivent avec évidence, baignant dans un son lumineux aux mille nuances tamisées, entre certains moments solennels (numéros 9, 10, 15), d’autres plus entraînants (4, 6, 12) et quelques pièces divinement contemplatives (2,14, 17). Le tout alors que la musique avance sans cesse, pendant que l’artiste en révèle toute la richesse et la complexité polyphonique.