Puisqu’ils constituent, finalement, les soubassements autour desquels devrait s’édifier le reste du spectacle, autant saluer d’emblée les prestations vocales solides de cette année. Du jeune Alessio Arduini dont on pouvait redouter la légèreté, et qui a su, dès le « Largo al factotum », dans un mouvement difficile mais millimétré, donner au rôle le coffre, le piquant et le charme nécessaires. De la formidable Pretty Yende – on imagine d’ailleurs difficilement un prénom mieux porté - compensant l’habituelle « sopranisation » de Rosina avec une ardeur, une chaleur juvénile et une générosité à toute épreuve : son interprétation seule, sincère et sans calcul, rendait justice au personnage. Et enfin de l’impressionnant ténor Lawrence Brownlee, coutumier du difficile rôle d’Almaviva, parfois un peu absent, mais nous gratifiant notamment d’un doublé « Cessa di piu resistere » / « Ah, il piu lieto » plus que mémorable. Nicola Alaimo et Ildar Abdrazakov, dans les rôles respectifs de Bartolo et de Don Basilio, tenaient également bien la route.
Quel dommage, donc, que l’interprétation musicale ne se soit pas montrée au niveau …
Il semble inconcevable, voire inadmissible, qu’un orchestre national plutôt fourni laisse entendre, dès son ouverture, des décalages au sein même de ses pupitres, des faiblesses dans les aigus côté cordes, et de franches faussetés chez les vents (cors et bassons en tête). Et encore moins excusable qu’il rate presque systématiquement les conclusions de ses airs et de ses tableaux les plus importants, en recouvrant tout d’abord les envolées vocales d’un crescendo instrumental beaucoup trop prononcé, puis en se désynchronisant rythmiquement du chant jusqu’aux cadences finales. La direction, erratique, de Giacomo Sagripanti, s’est certes montrée un peu plus adéquate après l’entracte, mais le mal était fait. On pouvait par ailleurs comprendre que la scénographie, imposant de nombreux (et inutiles) déplacements aux chanteurs – on court, on piétine, mais vers où donc ?- ait rendu la coordination difficile ; mais elle aurait dû s’accommoder à la musique, et non l’inverse.
La scénographie, parlons-en : quoiqu’impressionnante, elle ne sert jamais l’action, sans parler du texte, devenus tous deux illisibles, et repose sur sa monumentalité – un immeuble amputé d’une de ses façades qui, pour nos besoins de voyeurs, tourne sur lui-même. Paolo Fantin nous inflige un décor que nous avons trouvé d’une rare laideur, trop content, sans doute, de devoir esquisser les contours caricaturaux d’une ville du sud et de son quartier populaire. Les costumes de Sylvia Aymonino ne font pas mieux, en enlaidissant la plupart des protagonistes, et en imposant à Pretty Yendé une tenue punk assez disgracieuse, mais surtout courte et inconfortable. Le tout s’inscrit dans les partis pris d’une mise en scène qui laisse rêveur, tant ses tentatives de faire moderne sonnent creux, au lieu de faire sens.