Rafał Blechacz a choisi de donner ce soir les deux concertos de Chopin avec un accompagnement de quatuor à cordes. Ces derniers temps, de nombreux disques sortent qui proposent ces pièces jouées au piano seul, à deux pianos ou avec accompagnement de quintette. Le plus souvent sur pianos anciens, Pleyel ou Érard de la première moitié du XIXe siècle, identiques à ceux que Chopin a pu jouer. On sait qu'il a créé ces deux opus en formation de chambre, dans un salon, juste avant de partir pour la France où il vivra jusqu'à sa mort en 1849. Le projet du jeune pianiste polonais, auquel il a associé le Quatuor Meccore, est donc intéressant, d'autant qu'il n'est pas rare qu'orchestres et chefs dirigent ces deux œuvres avec le manque d'enthousiasme et de travail de préparation attendus, se réfugiant derrière la prétendue mauvaise qualité de leur orchestration. Chose amusante : aucun des compositeurs qui ont voulu l'améliorer n'ont réussi... à l'exception peut-être d'Alfred Cortot qui a coupé dans l'introduction du fa mineur et retouché avec tact des détails ici et là, ajoutant même quelques réparties ingénieuses. C'est donc avec impatience que l'on attend Blechacz, lauréat incontesté en 2005 du Concours Chopin de Varsovie, qui a enregistré depuis quelques disques où se manifeste un talent de styliste impeccable dans Chopin, Bach, Haydn, Mozart ou encore Debussy, et par-dessus tout une personnalité vraiment attachante. Mais bon, on se demande quand même comment un grand Steinway de concert peut sonner dans la Philharmonie à côté d'un quatuor à cordes : nous ne sommes pas dans un salon à l'acoustique mate, tout proches des musiciens, mais dans un grand vaisseau.
Le pianiste entre sur scène d'un pas vif, grand mince, élégant, il salue, s'assied et se lance dans les Mazurkas op. 24, les mêmes que celles que Krystian Zimerman jouait ici même, le 7 juin. Ce n'est pas qu'on veuille comparer les deux pianistes, mais Blechacz, 34 ans, n'a sans doute pas l'expérience de son aîné de trente ans qui a appris à jouer avec l'acoustique... sur un piano réglé spécialement pour lui. Aussi sa sonorité est moins riche, sa ligne de chant moins soutenue. Plus grave, il accentue sans doute trop l'alternance entre danse rustique et passages méditatifs, nostalgiques et il a une petite tendance au ritardando qui fait attendre la note. Son jeu est pianistiquement impeccable, d'une maîtrise assez extraordinaire, mais il a quelque chose de trop planifié, de fabriqué.