Traditionnellement présentée en diptyque avec Pagliacci de Leoncavallo, Cavalleria rusticana trouve ici une résonance particulière avec Sancta Susanna ; le metteur en scène Mario Martone choisissant d'associer cette opéra du jeune Hindemith à l’œuvre vériste de Mascagni, dans sa mise en scène milanaise de 2011. Entrelaçant ces deux récits de la passion et de la trahison, Martone présente ici une nouvelle mise en scène pour Sancta Susanna, dont le décor est aussi riche en éléments figuratifs que Cavalleria Rusticana en est pauvre et épuré.
La scène quasi nue de Bastille offre une profondeur très à même de figurer l’enceinte à l’abandon d’un lieu sacré. C’est en tous cas l’effet que produit dans Cavalleria la présence du chœur au centre de scène, assistant à la messe de pâques devant un Christ en croix. Se détachant du chœur, les chanteurs interagissent entre eux en avant-scène, comme s’ils dénouaient le drame sur le parvis de l’église. La grande force de cette proposition est que tout est suggéré. Martone a souhaité se tenir à distance de tout folkore, ce qui semble d’ailleurs être illustré dans la scène d’ouverture: un plateau mobile où prostituées, clients et tenancière évoluent dans une atmosphère oppressante. Une multitude d’accessoires traversent la scène en diagonale avant de disparaître, laissant alors aux êtres toute la responsabilité de traduire au mieux le livret de Giovanni Verga.
À l’inverse, le dispositif scénique de Sancta Susanna est très chargé. La cellule de Susanna est encastrée dans un mur fissuré qui occupe toute l’avant-scène. Il se détachera de moitié pour révéler un deuxième espace, sous-sol qui sera théâtre de tous les péchés allant à l’encontre des voeux de la soeur.
Elīna Garanča fait une prise de rôle déconcertante de justesse en Santuzza. Abordant le personnage de cette femme ivre de jalousie avec une telle force dramatique qu’elle en devient presque doloriste, la mezzo soprano conserve toute la souplesse de ses aigus. D'où de brutales ruptures avec ces legato graves et ornés, mis en avant dans la scène où elle supplie Turiddu de lui pardonner ses doutes. Sous les traits de Yonghoon Lee, qui fait ses débuts à l’Opéra de Paris, l’amant de Santuzza a aussi bien su convaincre par sa maîtrise vocale, que par sa théâtralité. Mais ses notes filées, ses aigus lumineux et amples et son aisance dans le répertoire italien ne suffisent pas à transfigurer le jeu scénique, entraînant parfois des répercussions sur le chant. Le ténor trouve peu de ressources pour y ajouter les aspérités et les variations nécessaires à la crédibilité du personnage. La Lola d’Antoinette Dennefeld intervient peu, mais parvient d’emblée à illuminer le duo très sombre que forment Santuzza et Tuiddu. Jouant sur l’impertinence et la frivolité, l’entrée de son personnage marque une rupture dans la progression de l’œuvre : la richesse du timbre, la capacité à projeter la voix tout en la conservant claire, contrastent avec le désespoir de Santuzza. Vitaliy Bilyy est lui aussi scéniquement très juste dans le rôle d’Alfio, bien que sa voix très homogène puisse parfois manquer de profondeur. Elena Zaremba, quant à elle, nous offre des notes cristallines et déploie une palette vocale froide et glaçante qui rendent justice au rôle de Lucia.