Après le pathos romantique du XIXe siècle, c’est peut-être la « mise en sons du silence » qui caractérise le mieux les pages contemporaines. Dès le début du XXe siècle, les retenues subtiles de Claude Debussy sont en rupture avec leur temps et préfigurent la « tragédie de l’écoute » de Luigi Nono ou la « musique d’os » de Gérard Pesson. Cette exploration de l’inaudible, parfois entrecoupée d’apogées lumineux ou de cris déchirants, était joliment servie le 17 novembre dernier par l’Orchestre philharmonique de Radio France, placé sous la direction de Tito Ceccherini. Dans ce concert se produisaient également la pianiste Julia Den Boer et les chanteurs Anu Komsi et Peter Tantsits.
La pièce …sofferte onde serene… de Nono ouvrait la représentation, dans le dépouillement du piano solo. Sous les doigts délicats de la soliste Julia Den Boer, le son s’élève, emplit la salle et fascine l’auditoire. Lui répond son double, un piano fantôme préalablement enregistré sur bande par le Studio Expérimental de la Radio SWR. L’effet visuel est saisissant, avec des sons invisibles qui semblent émaner directement de l’instrument, le haut-parleur étant situé juste au-devant. Par contre, la réalisation sonore déçoit : la piètre qualité de l’enregistrement fait du piano fantôme une sorte de spectre enroué, qui vient gâter le jeu pourtant inspiré de la soliste. Un beau moment cependant, sombre et méditatif, où le subtil équilibre des nuances vient rattraper celui moins concluant du timbre. Dans une tout autre atmosphère, timbres et nuances deviennent le principal défi de l’Orchestre philharmonique de Radio France, qui ose l’imperceptible dans la lumineuse Pastorale Suite de Pesson, création française d’une œuvre pour orchestre de chambre dont les onze sections proviennent d’un opéra antérieur. Le livret tiré de L’Astrée d’Honoré d’Urfé inspire à Pesson une musique galante où pointent des résurgences revisitées de danses baroques. C’est notamment le cas dans l’humoristique « Branle du Poitou », où les cordes viennent percuter leur instrument pour rythmer d’archaïques bribes mélodiques. Moins convaincants, d’autres extraits tombent dans l’exercice de style (le jazz un rien conventionnel de la « Chanson d’Hylas »), ou dans un humour un peu édulcoré (appeaux multiples et boîtes à meuh de la « Musette »). Malgré ces effets dus sans doute au rococo de l’intrigue initiale, la musique de Pesson retrouve toute sa poésie lorsqu’elle flirte avec le silence, culminant dans un « Sommeil de Céladon » porté par le souffle des musiciens.