Nikolaj Szeps-Znaider et l’Orchestre national de Lyon ont envoûté en ce début d’année l’Auditorium d’une profonde mélancolie hivernale, qui s’est toutefois déjà éclaircie de quelques premières lueurs printanières, grâce à une association sensible de Schubert et de Mahler.
La Symphonie « Inachevée » du premier est délicate sous la baguette du maestro : les contrebasses traduisent dans leur attaque à pas de velours toute l’inquiétude qui habite l’« Allegro moderato ». C’est d’elles que se détache de façon exquise le thème lancinant du hautbois, dont la soliste remarquable nous touchera si souvent encore ce soir. Elles sont bientôt relayées dans le deuxième thème par une danse plus globale des cordes, très viennoise dans sa légèreté. Les cuivres, vaillants et homogènes, ne manquent pas d’apporter à leur tour une nostalgie fondante à ce premier mouvement. Dans l’« Andante con moto », ce sont vraiment les bois qu’on retient : suivant la clarinette et le hautbois, la flûte marque de façon particulièrement spirituelle les doubles croches pointées de son thème et retarde aussi subtilement par un rubato telle ou telle fin de son discours. Nikolaj Szeps-Znaider dirige l’ONL avec une grande économie de moyens, mais obtient précisément ce qu’il veut : cette entrée en matière est profonde, riche et sensible.
Sur des textes extraits de Die chinesische Flöte (La Flûte chinoise, traduction allemande par Hans Bethge de grands poètes de l’Empire du Milieu), Le Chant de la Terre, quant à lui, laisse derrière lui l’atmosphère hivernale par son écriture orientalisante et fait déjà sentir et désirer dans certains mouvements les premières couleurs du printemps. Les deux solistes s’attachent à servir l'écriture de Mahler dans sa double dimension, aussi lyrique et intimiste que grandiose et épique, grand écart qui ne va pas de soi.
La partie de ténor, à l’origine destinée à l’Australien Stuart Skelton, sera finalement assurée par un autre wagnérien de Down Under, le Néo-Zélandais Simon O’Neill, qui a accepté le jour même ce remplacement au pied levé. Très expressif et pleinement engagé, il incarne le buveur de « La chanson à boire de la douleur de la Terre » physiquement, s’emparant de verres imaginaires, titubant presque sur scène, tout en luttant dans ce premier mouvement avec le tutti d’orchestre. Dans son medium, la voix et, par ricochet, le texte peinent un peu à passer dans cet important volume sonore, qui aurait gagné à être mieux équilibré par la direction, comme dans les nos 3 et 5, où le soliste est obligé de faire des efforts particulièrement importants qui ne lui permettent pas toujours de laisser son timbre s’épanouir pleinement, mais dont on apprécie les élans lyriques.