Pendant les fêtes, ne cherchez plus : Offenbach est partout. Quand Nancy se réjouit de sa Belle Hélène, Strasbourg applaudit son Barkouf. C’est désormais à Montpellier de découvrir son Fantasio. Comme pour la production strasbourgeoise, saluons le travail de l’infatigable Jean-Christophe Keck, qui a permis d’exhumer un ouvrage tombé dans l’oubli après dix représentations en 1872. Cette résurrection vaut le détour, tant Fantasio réunit tous les ingrédients d’un succès lyrique. Théâtralement, on est gâté : les quiproquos succèdent aux travestissements, un noble de pacotille est tourné en ridicule, un duo au balcon apporte sa part de tendresse, une scène en prison son côté obscur… tandis que le suspense règne autour d’un mariage arrangé qui semble inéluctable. Musicalement, on retrouve avec plaisir la verve offenbachienne, les enchaînements de couplets pétillants (mention spéciale au canon de la demande en mariage) et l’orchestration enlevée.
Sous son intrigue simple – l’étudiant Fantasio se déguise en bouffon et séduit la fille du roi, promise au prince de Mantoue pour des raisons politiques –, l’œuvre recèle une profondeur inattendue. Alternant scènes chantées et dialogues parlés, suivant les codes du très sérieux opéra-comique, Fantasio montre la volonté d’Offenbach d’obtenir la reconnaissance de ses pairs et non du seul public. L’ouvrage comporte des pages d’une finesse recherchée : la texture orchestrale du premier tableau de l’acte II, son accompagnement de harpe, son chœur de femmes et son livret poétique (« Quand l’ombre des arbres fera voltiger ») sortent des sentiers battus de l’opérette pour toucher du doigt le grand opéra français.
Thomas Jolly l’a bien compris. Le metteur en scène mêle habilement l’héritage de l’opérette et des aspirations dramatiques sérieuses. Tout en lançant des clins d’œil appuyés à son public pour provoquer quelques rires faciles (les ronflements du geôlier, le personnage du tailleur efféminé, Marinoni surpris en culotte…), Jolly déploie un univers sombre sur fond de climat politique instable. D’un bout à l’autre de l’ouvrage, la scène est baignée dans une obscurité que seules quelques ampoules viennent percer. Ce dispositif favorise une certaine tension (quand les étudiants manifestent leur soif d’anarchie) mais offre également des tableaux d’une grande poésie (quand Fantasio s’élève en Pierrot dans sa lune). On regrettera, en revanche, l’accumulation évitable d’effets de foule et de décors mobiles qui produisent parfois bien des bruits parasites, ainsi que l’uniformité de ce climat sombre qui finit par fatiguer les yeux. Jolly semble en avoir conscience lui-même, se rattrapant dans une exubérante happy end aux couleurs stabilo.