« Le discours musical d’Offenbach est avant tout basé sur un art des contrastes, alternant entre la mélancolie et la bouffonnerie, passant d’une musique particulièrement romantique à une musique de danse des plus entraînantes. Tout est affaire de bon dosage et nulle autre musique ne souffre plus des excès de toutes sortes ». Ces termes du musicologue et spécialiste d’Offenbach Jean-Christophe Keck auraient dû être confirmés par la représentation attendue d’une nouvelle rareté d’Offenbach : Geneviève de Brabant. La production semblait alléchante, les décors décalés et colorés nous avaient emballé. Ajoutez à cela la découverte d’une partition rare et la curiosité naturelle s’était doublée d’une certaine impatience. Nous aurions peut-être dû tempérer notre enthousiasme.
Comment résumer l’histoire de Geneviève de Brabant ? À vrai dire, cela est impossible tant le livret apparaît décousu. Retenons simplement qu’Offenbach souhaite ici continuer la parodie historique qu’il avait déjà mise en œuvre dans Orphée aux enfers (1858) ou dans La Belle Hélène (1864). Pas de référence à l’Antiquité ici mais une plongée dans le Moyen-Age. Geneviève est mariée à Sifroy mais ils ne parviennent pas à avoir d’enfant. S’ensuit une histoire pour le moins loufoque entre un charcutier apportant un pâté censé améliorer la fécondité du couple et l’arrivée de Charles Martel qui appelle à la croisade contre les sarrasins (croisade à laquelle personne n’ira). Comment monter une pareille intrigue ?
Carlos Wagner opère ici une synthèse des deux premières versions (sur les trois existantes) de Geneviève de Brabant. Cette réécriture censée réactualiser le propos ne convainc pas vraiment. Car si les textes parlés sont entièrement réécris (avec un vocabulaire assez cru), il n’empêche que la faiblesse du fil dramatique de l’intrigue persiste. C’est dans une banlieue plutôt cossue, avec gazon tout vert, et grandes maisons colorées que l’intrigue prend vie. Les amateurs de Desperate Housewives auront été ravis de retrouver le charme de Wisteria Lane (quartier fictif où se passe la série américaine). Les décors vraiment réussis de Rifail Ajdarpasic enchantent par leur fraîcheur et leurs couleurs vives. Seulement, il aurait peut-être fallu s’arrêter là.
D’autant que l’humour de ce soir était très en dessous du niveau de la ceinture. Nous avons eu droit à la totale : le pot de chambre rempli devant nos yeux et jeté à la figure de Charles Martel, la blague sur les vertus laxatives des châtaignes, le petit garçon urinant dans le bassin, les pénis en érection grossissant exagérément les pantalons des chanteurs, les positions du Kamasutra, les chorégraphies pour le moins explicites. Et pourtant le spectacle fourmille d’idées intéressantes : l’air « Rose la fille à Mathurin » chanté en version concert de variétés avec diva au premier plan, mais aussi le nain de jardin sortant de la poubelle, le soin très rigoureux apporté au traitement des choristes. Seulement, mis bout à bout, tous ces éléments font frôler l’indigestion. À vouloir trop en faire et constamment occuper le regard, Carlos Wagner en oublie que la musique peut se suffire à elle-même et qu’il n’est pas forcement besoin de provoquer l’émotion. Au final, ce sont des décors imposants, des costumes très kitch, une interprétation lourde et sans grande finesse qui s’ajoutent à un livret original déjà grivois. Si « tout est affaire de bon dosage », des choix et des concessions auraient vraiment été bienvenus.