Fêter ses septante ans ? Pour Philippe Herreweghe, c’est un prétexte rêvé pour une tournée en Flandre, aux Pays-Bas et en Italie. La cinquantaine de concerts donnés par le chef d’orchestre dans les murs du Concertgebouw en quinze ans d’existence de ce temple de la culture brugeois témoigne à elle seule de son inlassable ardeur au travail. La sensationnelle série d’enregistrements sur son propre label Phi prouve en outre qu’il faut encore compter avec le Gantois. C’est aussi l’impression qu’a laissée le concert du Collegium Vocale, l’ensemble que le chef d’orchestre a créé voilà près de cinquante ans.
Après trois enregistrements et d’innombrables concerts, Herreweghe ne devrait plus rien avoir à ajouter à la partition de la Messe en si de Bach. Il en a pourtant proposé avec son ensemble une lecture engagée, avec une attention toute particulière à la symbiose entre texte et musique. S’appuyer sur la sensation chaloupée de la musique de Bach dont le Collegium Vocale détient le secret ? Il y avait plus que cela. À quelques instabilités près, ce fut un concert mémorable pour son intégrité et son authenticité.
Les défenseurs d’interprétations soignées et parfaitement équilibrées trouvent presque toujours à redire sur la musique de Bach en concert. Herreweghe a bien compris qu’une exécution publique doit miser sur d’autres qualités. Ainsi, le chef et son ensemble choisissent avant tout un discours clair et une expressivité marquée. En d’autres termes, les contrastes de la partition sont un peu accentués, sans cependant faire fi des principes esthétiques de la musique de Bach. On notera bien plutôt qu’Herreweghe, s’inscrivant dans un idéal de beauté aux fondements historiques, travaille les consonances et les dissonances. Non par souhait de renouveler l’expérience d’écoute, mais bien pour poursuivre son analyse du langage par lequel le compositeur a voulu communiquer.
La brève allocution d’Herreweghe à l’issue du concert allait dans ce sens. Il a expliqué qu’il en viendrait peut-être à proposer à l’avenir d’autres interprétations, et savoir que la vision d’Herreweghe continue à évoluer participe précisément de l’aura du personnage. L’un des éléments clés de la prestation du Collegium Vocale au Concertgebouw a été d’offrir au public la possibilité d’assister à la genèse de l’œuvre cataloguée BWV 232. L’évidence du récit a permis aux auditeurs d’en vivre l’intensité croissante. La conclusion tendre et salvatrice a fait l’effet d’une catharsis, précédée d’un émouvant solo d’Alex Potter, qui s’est d’ailleurs imposé comme la révélation de la soirée. Le contre-ténor a en effet savamment mêlé fragilité, lucidité et intelligence émotionnelle.