L'Auditorium de la Fondation Louis-Vuitton défie les lieux communs de l'acoustique. Si le sol est en chêne clair, les murs sont en verre, matériau réputé ne pas être favorable par les tenants des salles à l'ancienne tout de bois revêtues. Et pourtant, elle sonne excellemment. Ce soir encore, elle sera pleine d'un public qui en suit l'excellente programmation musicale et particulièrement la série « Piano nouvelle génération ».
Jean-Paul Gasparian ouvre son récital par le second livre des Images de Debussy. Dès qu'il pose les mains sur le clavier, on est saisi par la façon qu'il a de faire entrer en résonance la table d'harmonie de l'instrument, de plier à sa volonté une matière sonore que l'on sait rebelle, tant il est difficile de faire chanter les marteaux d'un piano. Dans « Cloches à travers les feuilles », le pianiste fait glisser les plans sonores les uns au-dessus des autres, sans que jamais ils ne se mélangent. Les contours sont flous mais la diction est claire, le chant timbré mais pas trop. La main gauche est souveraine. Libre, agile, elle fait tenir l'édifice tout en chantant, en faisant sonner d'imaginaires cloches. Cette entrée en matière laisse pantois : quel pianiste ! Il y a deux ans encore, sa technique était un peu plus lourde. Son travail en Italie avec Elisso Virssaladze – l'une des plus grandes pianistes de notre temps, que Paris ignore toujours pour des raisons inexplicables – et en France avec Michel Dalberto, qu'il est inutile de présenter, porte ses fruits.
Rien n'a changé dans la personnalité et les dons de Gasparian – aucun professeur ne peut enseigner cela – mais bien des choses se sont affinées dans son approche pianistique. Ce soir, dans les Images comme dans La Mandragore, splendide pièce composée par Tristan Murail en hommage au « Gibet » de Gaspard de la nuit, Gasparian montre sa maîtrise pianistique et son intelligence musicale. Même chose dans la « Première Communion de la Vierge » et le « Regard de l'Esprit de joie » des Vingt regards sur l'Enfant Jésus d'Olivier Messiaen. Toutes les œuvres se répondent et sous ses doigts appartiennent bien à la même famille. Ses « Poissons d'or » manquent sans doute de cette effervescence et de ce scintillement... qu'à vrai dire peu de pianistes réussissent dans cette pièce. Mais quel swing et quelle sonorité plantureuse dans « l'Esprit de joie » ! Il est amusant de constater que plus on s'éloigne de la tradition léguée par le compositeur et par Yvonne Loriod, son épouse et interprète d'élection, plus cette musique semble s'ébrouer, libre de l'entrave d'un modèle imposé. On ne voudrait pas blesser quelques spécialistes connus de Messiaen, mais Gasparian en démode quelques-uns.