Plus d'une heure avant le concert, le public « fait le serpent », comme disent les Russes, devant les portes de la Philharmonie. Ce soir musique russe, justement, par un orchestre bavarois, un chef ossète et un pianiste auvergnat ! Programme de tournée qui met tout le monde en valeur et n'éloigne pas le chaland, fait d'œuvres certes un peu faciles, mais génialement irrésistibles. Gare néanmoins : le moindre faux pas s'y voit comme un caillou dans un plat de lentilles.
À commencer par cette ouverture de Rouslan et Ludmila qui depuis longtemps s'est émancipée de l'opéra de Glinka, le père de la musique russe, apprend-on en cours d'histoire de la musique. C'est une pièce d'une verve et d'une virtuosité qui magnifient le quatuor à cordes d'un orchestre comme elles peuvent l'envoyer au tapis, et disent immédiatement le talent du chef. Tugan Sokhiev n'en manque pas. Sa technique de direction et sa dimension artistique sont connues de longue date et ont réussi à Toulouse, où il avait succédé à Michel Plasson, si différent de lui, orientant la formation vers une couleur moins française.
Une fois encore, Sokhiev se montre impeccable dans une œuvre à jamais marquée par les interprétations fulgurantes qu'Evgeni Svetlanov en avait donné à Paris avec son Orchestre de l'État d'URSS, dont c'était l'un des tubes avec l'ouverture de La Fiancée vendue de Smetana, tout aussi périlleuse et génératrice de triomphes. Ce soir c'est différent, moins par la vision qu'en aurait Sokhiev que par l'inertie des Münchner Philharmoniker. C'est une belle formation mais son effectif de cordes est pléthorique : si l'on a bien compté, il y a 16 premiers violons, 14 seconds, 12 altos, 10 violoncelles et 8 contrebasses sur le plateau. Si Walt Disney a su faire danser avec une grâce de libellule de gracieuses hippopotames sur la Danse des heures de Ponchielli dans Fantasia, vient dans la vraie vie le moment où ce genre de matière sonore, dans une acoustique aussi généreuse et réverbérée, devient pesant malgré l'incontestable virtuosité des musiciens qui suivent le chef sans réserve dans l'exaltation du brillant, du dansant de cette musique. Les vents ne sont pas en reste, et on les admire caqueter impeccablement, derrière cette tenture un peu trop épaisse pour qu'on perçoive nettement les effets de contrastes voulus par le compositeur, sans devoir se forcer à les entendre, parce qu'on sait les y trouver.