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Kevin Chen à la Fondation Louis Vuitton : le chat qui se prenait pour un tigre

Por , 12 febrero 2024

C'est la tête pleine de sentiments contradictoires que l'on sort de la Fondation Louis Vuitton à Paris à l'issue du récital de Kevin Chen. À 18 ans, ce pianiste canadien est un ex-enfant prodige ayant le parcours d'un vétéran, un compositeur déjà publié et il a remporté trois compétitions prestigieuses : plus jeune vainqueur depuis 1933 du Concours Liszt de Budapest à 16 ans en 2021, Premier Prix du Concours Arthur Rubinstein de Tel-Aviv et du Concours de Genève dans les deux années qui ont suivi.

Kevin Chen
© Fondation Louis Vuitton / Martin Raphaël Martiq

À son crédit, Chen a concocté un programme remarquablement agencé et il joue du piano, sans jamais le martyriser, avec une sonorité ronde et lumineuse, des doigts agiles plus que sa technique d'accord ne montre qu'il peut faire sonner l'instrument comme un orchestre. Il entre sur scène, se lance dans la Sonate n° 28 op. 101 de Beethoven, sans doute la plus difficile de tout le cycle, tant elle doit être tenue par un esprit qui doit contrôler le geste instrumental tout en le libérant pour triompher de la matière et donner la sensation d'une improvisation en quatre mouvements.

Chen a une jolie sonorité qui accroche plus l'attention que la tension qu'il n'imprime pas à cette phrase qui s'élance. Il est toujours dans l'instant, jamais dans le devenir du texte. Et parfois comme perdu : le petit canon comme la fugue en seront inconsistants. Ce n'est pas un problème d'âge, contrairement à ce qu'on a pu entendre dire autour de nous dans la salle : la maturité et l'art entretiennent des relations très lointaines, on a entendu des gamins dans des concours bien mieux jouer cette sonate et l'on n'oubliera jamais le jeune Pollini dans sa petite trentaine, dans cette même sonate. Le plus inquiétant est cependant à venir.

Beaucoup de pianistes aiment Chopin qui en retour en aime beaucoup moins et se venge de ceux qui trahissent son esprit. Associer la Polonaise-Fantaisie et la Ballade n° 4 est une magnifique idée, mais c'est un funeste choix que de transformer la fin de la première en une extériorisation d'un héroïsme banal appelant les applaudissements. La Ballade en fa mineur, malgré un phrasé trop lisse, une pédalisation qui n'éclaire pas l'harmonie et un manque de tension étonnant est quand même mieux venue. Mais le jeu retombe dès le petit canon précédant le retour du thème et la coda : le jouer de façon si platement scolaire est aussi décevant que voir la coda éparpillée, sans grandeur. Chen n'a vraiment pas le sens du tragique dans une musique qui ouvre des espaces infinis derrière l'agencement de ses variations.

Kevin Chen
© Fondation Louis Vuitton / Martin Raphaël Martiq

Quand il se lance dans les Csardas de Liszt, on dresse l'oreille : tiens, il peut changer de son – car jusqu'à présent, le pianiste a joué tout avec la même articulation, le même type d'attaques. Les Jeux d'eau à la Villa d'Este passeront comme passe la pluie sur un joli paysage. Avec le Sonnet 104 de Pétrarque, ils vont bien à la virtuosité fluide de Chen et constituent peut-être la meilleure partie du récital... n'annonçant pas du tout la pire : Erlkönig joué comme si ce pianiste n'avait jamais entendu ce drame à quatre voix condensé dans les dix doigts du pianiste par Liszt et les Réminiscences de Norma assénées comme s'il n'avait jamais regardé de près l'opéra de Bellini dont Liszt a tiré ce chef-d'œuvre d'ingéniosité dramaturgique.

Chen est un chat qui se prend pour un tigre, pour un immense virtuose alors qu'il est plus souple que fulgurant, plus mobile qu'orchestral, plus ivre de ses doigts qu'au service d'un texte dans lequel il voit le brillant et pressent les applaudissements : la partie centrale avec ses cris étouffés devient anodine. Le pianiste revient pour un bis. On ne verra pas le printemps du Frühlingsnacht de Schumann arrangé par Liszt. Il prend un tempo rapide, mais n'entend pas la ligne de chant, son effervescence, son impatience amoureuse, sa tendresse, il y voit juste un ruissellement ravissant pendant que sa main gauche égrène une bluette.

**111
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“Kevin Chen est toujours dans l'instant, jamais dans le devenir du texte”
Crítica hecha desde Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, París el 8 febrero 2024
Beethoven, Sonata para piano núm. 28 en la mayor, Op.101
Chopin, Polonesa núm. 7 en la bemol mayor, 'Polonaise-fantaisie', op. 61
Chopin, Balada núm. 4 en fa menor, op. 52
Liszt, 2 Csárdás, S. 225
Liszt, Années de pèlerinage, Troisième année: Les jeux d'eaux à la villa d'Este, S 163 no. 4
Liszt, Erlkönig (transcribed from Schubert), S 558 no.4
Liszt, Années de pèlerinage, Deuxième année, Italie: Sonetto del Petrarca no. 104, S 161 no. 5
Liszt, Réminiscences de Norma, S 394
Kevin Chen, Piano
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