Qu’est-ce qu’une direction bien pensée sinon faire entendre ce qui n’est pas écrit ? Takashi Kondo à la tête de l’Orchestre Sostenuto, ne dit pas autre chose que ces mots derrière la musique, cette musique dans la musique comme une pensée qui s’en échappe et la légitime. Un concept à la fois simple dans son énoncé mais infiniment complexe dans sa mise en œuvre. Il relève d’une fragile et volatile alchimie qui tient autant au respect de la partition qu’à la pensée du compositeur l’un et l’autre sous influence de la personnalité du chef et des couleurs propres à l’orchestre. Ce mélange de complicité, d’empathie et d’enthousiasme confère une saveur de timbres et une plasticité plus libérée qui échappent souvent aux grands ensembles. Pour être techniquement plus aguerris il leur arrive de manquer de cette fraîcheur et de cette sensualité naturelle, apanage de la jeunesse de Sostenuto.
Une jeunesse issue des derniers cycles des grands conservatoires et écoles de musiques de l’hexagone mais aussi de Suisse, Belgique et Grande-Bretagne, réunie pour des académies d’orchestre. Leur spontanéité décomplexée conjuguée au plaisir du partage n’exclut pas bien au contraire maîtrise et concentration virtuose. La flûtiste Emmanuelle Blessig en est un brillant exemple dans le Pezzo Capriccioso op.62. Initialement écrite pour violoncelle et orchestre cette courte page tempère la mélancolie de la tonalité en si mineur dans sa transcription pour flûte traversière. La soliste donne vie à cette trop brève pièce sur la rondeur d’un souffle à l’intelligence lumineuse comme le chant en apesanteur d’un rossignol. Le son d’une séduisante fermeté, soutenu par une dextérité digitale précise et fluide, ne manque pas d’audace. La musique en général et l’élève d’Anton Rubinstein en particulier exigent de tels ingrédients pour être entendus et compris aujourd’hui.
Transparence de la matière orchestrale et clarté de ligne chromatique : Tchaïkovski selon Kondo ne peut s’entendre hors d’une direction à la fois scrupuleuse du détail dans son rendu et sensible à la dimension épique. Mais cette dernière ne doit pas céder à la tentation du pompiérisme. On pense tout particulièrement au Concerto pour piano n°1 mais aussi à la Symphonie n°6 « Pathétique ». Dans cette dernière œuvre-testament, la puissance et le pathos s’affirment d’autant plus impressionnants et verticaux qu’ils demeurent paradoxalement contenus. On est confronté à un tellurisme en devenir, d’une imminence qui se ferait immanence. Les surgissements chromatiques ont des vertus d’apparitions et fuient les trop flatteurs paroxysmes écrasant les détails ou les raffinements purement hédonistes.