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Konstantin Emelyanov, un pianiste constructiviste russe à Cortot

Por , 30 septiembre 2025

Grand, mince, démarche souple, cheveux bruns bouclés, Konstantin Emelyanov s'avance d'un pas rapide sur la petite scène de la Salle Cortot pour prendre place devant un Steinway & Sons dont l'éclat des roulettes de bronze dit qu'il est flambant neuf. Troisième prix au Concours Tchaïkovski en 2019, compétition remportée cette année-là par Alexandre Kantorow, vainqueur d'une liste longue comme le bras d'autres concours, Emelyanov vit à Imola (Italie) où il travaille toujours, à la très réputée Académie internationale de piano « Incontri col Maestro ». Le voici à Paris, invité des Nuits du piano. Son récital est filmé pour une mise en ligne ultérieure et l'organisateur qui présente son invité demande au public « de ne pas trop bouger car les sièges de la salle sont vétustes ». De fait, ils ne grinceront pas, au long d'un programme intelligemment pensé.

Konstantin Emelyanov à Cortot
© Patrice Moracchini

Mais commençons par le commencement et donc par l'Ouverture à la française en si mineur BWV 831 de Bach dont, à plus d'un moment, on peut penser qu'elle fait entrer un orchestre dans le clavecin. Dès les premiers instants, tout va et rien ne va : les doigts sont parfaits, alertes et l'articulation est nette, mais ce jeu ne respire pas en raison d'une saturation sonore permanente. Emelyanov projette le son comme s'il était à Carnegie Hall, devant 2000 personnes. Et il abuse de l'ornementation, n'oubliant aucun trille, aucune batterie, en en rajoutant même et ce continuum sonore brouille les lignes. L'oreille infaillible du pianiste tente d'éclaircir ce qui ne peut que difficilement l'être quand on choisit cette voie. Les ornements sont consubstantiels au clavecin et ennemis du piano moderne. S'ils permettent de faire chanter le clavecin en tenant le son, ils se retournent contre le pianiste dont l'instrument est bien plus inerte : ce soir, on perd le dessin mélodique... et l'esprit de la danse, ce qui est un comble dans une partita qui ouvre un récital placé sous son signe. Et l'on cherche son souffle.

Petrouchka qui suit est certes une adaptation pour piano du ballet de Stravinsky, mais ses trois mouvements sont une abstraction de l'orchestre plus que l'œuvre n'en est une imitation. Emelyanov impose, là encore, un jeu beaucoup trop sonore. Il ne tape pas, ça non, mais il remplit et sature l'acoustique de Cortot. Et son jeu en noir et blanc, moderniste disait-on dans les années 1970, quand Maurizio Pollini et Alexis Weissenberg ont imposé cette esthétique dans cette musique, manque de l'esprit attendu : où sont l'humour, la balourdise des ours, l'esprit de fête ? Et où sont les graves du piano ?! Ce style dégraissé donne l'impression que « tout » se passe du côté de la main droite. Mais quelle précision ! On pourrait relever sur le papier l’œuvre en l'écoutant.

Ce n'est pas un hasard si Emelyanov joue, après l'entracte, la Suite en mi mineur de Rameau, contemporain de Bach et maître de l'harmonie, des atmosphères, du ballet et du théâtre. Le problème de l'instrument se pose toujours : ce Steinway est beaucoup trop brillant, trop cuivré pour aller à cette musique qui pourtant, bien évidemment, peut être jouée au piano. Mais il faut plutôt prendre pour modèle Marcelle Meyer que Grigory Sokolov : l'élève de Cortot intègre les ornements à la ligne, comme si elle les déployait à la façon dont Chopin en fera la substance de son chant orné post-baroque ; le Russe en fait des sonneries qui cassent la ligne et les oreilles. Emelyanov n'en est pas encore là, mais il devrait arrondir les angles et apprendre à chanter, pour créer des atmosphères en ne fuyant surtout pas le flou, l'incertain. Et pourtant, là encore, on admire une allure décidée qui ne doit rien au hasard, de la part d'un pianiste qui aime tant ce répertoire qu'il l'a enregistré.

Et voici Roméo et Juliette de Prokofiev, tout un théâtre réduit par Prokofiev aux dix doigts du pianiste, de façon moins abstraite que Stravinsky ne l'a fait de son ballet entendu en première partie. Les dix pièces passent, aussi parfaitement réalisées que peu caractérisées, tant ce style pianistique, qui rappelle celui des grandes affiches de l'avant-garde constructiviste russe, ne colle pas avec l'intimité de la Salle Cortot qui agit comme une loupe. Emelyanov brise l'armure dans « Frère Laurent », la « Danse des jeunes filles aux lys » et la dernière pièce : il se laisse alors pour la première fois, et fort heureusement, « emporter » par la musique... Et l'on sort partagé du récital d'un pianiste qui domine de haut un programme intellectuellement raffiné mais justement peut-être d'un peu trop haut, comme prisonnier d'une conception trop sévère et abstraite.


Ce récital a été organisé par Les Nuits du piano.

***11
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“les doigts sont parfaits, alertes et l'articulation est nette, mais ce jeu ne respire pas”
Crítica hecha desde Salle Cortot, París el 29 septiembre 2025
Bach, Partita in B minor, (Overture in the French Style), BWV831
Stravinsky, Tres movimientos de Petrushka
Rameau, Suite en mi mineur
Prokofiev, Romeo and Juliet - Ten Pieces for Piano, Op.75
Konstantin Emelyanov, Piano
Naturaleza y evocación poética con OST y Pablo González
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