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Pas de clémence pour Titus selon Milo Rau au Grand Théâtre de Genève

Por , 20 octubre 2024

Allégé de nombre de ses récitatifs, dans une mise en scène où le théâtre tend à phagocyter l’espace musical, l’intrigue complexe de la Clémence de Titus donnée au Grand Théâtre de Genève est ramassée autour de ses arias et de la trahison de l’empereur Titus par son ami Sesto et de l’amour compromis de Vitellia pour Titus. Tel que l’expose le metteur en scène Milo Rau dans les surtitres, l’opéra de Mozart en lui-même d’une part, et d’autre part ce sentiment de « clémence » éprouvée par le personnage éponyme Titus seraient l’objet et le symbole d’une compromission entre les élites européennes et culturelles pour étouffer une révolte populaire. L’ouvrage mozartien nous transporte deux ans après la Révolution française et son intrigue nous place face à une éruption volcanique et une tentative de coup d’État dans l’Empire romain.

La clemenza di Tito au Grand Théâtre de Genève
© Magali Dougados

Dans cette mise en scène, Titus est donc un artiste-empereur : « Kunst ist Macht » (L’art est le pouvoir), lit-on sur un écran. Et Milo Rau rassemble pêle-mêle toutes les luttes sociétales contemporaines dans un camp de réfugiés qui remplit la scène – c’est le côté pile du décor – et une immense galerie d’exposition – c’est le côté face. Peu après le début, un ouvrier prend la parole, le dernier à avoir œuvré pour la rénovation du Grand Théâtre, nous dit-on. Il est tué sous nos yeux et son cœur, prélevé, passera de main en main entre les chanteurs et figurants. C’est le relais de ce cœur qui symboliquement opérera le lien entre l’opéra de Mozart et les récits parallèles construits par Milo Rau, au risque de régulièrement perdre de vue l’histoire et l’œuvre de Mozart…

La clemenza di Tito au Grand Théâtre de Genève
© Magali Dougados

Revenir au Manifeste de Gand, édicté en 2018 par le metteur en scène permet de comprendre davantage la mécanique de ces récits parallèles. Le premier des dix points note qu’« il ne s’agit plus seulement de représenter le monde. Il s’agit de le changer. Le but n’est pas de représenter le réel, mais bien de rendre la représentation réelle ». Ainsi, des vidéos ou des interventions ponctuelles parlées viennent documenter la variété d’origines des profils des participants à la production ; les artifices scéniques sont régulièrement dénoncés, caméra live au poing jusque dans les loges et dans Genève ; un journal de bord de création est surtitré pendant l’essentiel de l’acte II, à la place de la traduction de l’opéra. Tous ces artifices concourent à rendre accessible au public le revers de la représentation (deuxième point du manifeste) et tendre toujours plus vers un théâtre plus documenté que documentaire, toujours en friction avec la fiction, et où l’on tente de nous proposer une pensée politique en action.

La clemenza di Tito au Grand Théâtre de Genève
© Magali Dougados

Milo Rau témoigne d’une intelligence aiguë de la dramaturgie – comme l’idée de ces vidéos documentaires qui viennent court-circuiter les airs et le livret tout en leur faisant écho. Mais son discours de curiosité de l’Autre, multiculturaliste, mondialiste et progressiste devient aussi très naïf dès que l’allégorie faiblit. Et l’on se lasse rapidement de ce fil dramaturgique qui semble n’exister que dans et pour sa perfection didactique et symbolique. On restera plus sensible aux doutes du metteur en scène exposés dans l’acte II autour d’une forme rêvée pour cette Clémence de Titus qui serait « sans mise en scène, sans dramaturgie », posant ainsi cette question essentielle : comment prendre parti et agir, plutôt que quel parti pris suivre ?

La clemenza di Tito au Grand Théâtre de Genève
© Magali Dougados

En contrepoint et comme pour accompagner ce projet atypique, le chef Tomáš Netopil à la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande construit une lecture musicale tout en légèreté et souplesse, afin de dynamiser, vivifier et colorer une partition d’opera seria. On retiendra le chant particulièrement dessiné de la clarinette et du cor de basset dans les airs respectivement de Sesto et Vitellia.

C’est que l’interprétation de Netopil, toujours dans un souci du détail, est elle aussi tournée vers la scène et les interprètes, à la tête desquels Maria Kataeva (Sesto) et Serena Farnocchia (Vitellia) irradient de leurs voix impeccablement projetées et admirablement nuancées. Cela malgré une partition scénique qui les oblige à l’immobilité d’un quasi-récital dans l’acte II. Bernard Richer (Titus) témoigne d’un engagement sans limites au projet, d’une voix claire et altière (malgré un registre aigu souvent pincé), jusque dans cette séquence entre spiritisme et chamanisme, le visage brulé couvert de suie. Et l’on ressort chahuté face au contraste entre une profonde clarté musicale et un implacable et parfois ambigu maelstrom scénique.

***11
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“une profonde clarté musicale et un implacable et parfois ambigu maelstrom scénique”
Crítica hecha desde Grand Théâtre de Genève, Geneva el 18 octubre 2024
Mozart, La clemenza di Tito
Grand Théâtre de Genève
Tomáš Netopil, Dirección
Milo Rau, Dirección de escena
Anton Lukas, Diseño de escena
Ottavia Castellotti, Diseño de vestuario
Jürgen Kolb, Diseño de iluminación
Chorus of the Grand Théâtre de Genève
Moritz von Dungern, Videoarte
Clara Pons, Dramaturgia
Giacomo Bisordi, Dramaturgia
Bernard Richter, Tito
Serena Farnocchia, Vitellia
Maria Kataeva, Sesto
Yuliia Zasimova, Servilia
Giuseppina Bridelli, Annio
Justin Hopkins, Publio
Mark Biggins, Dirección de coro
Mitos y patrones con Faun/Noetic del Ballet du Grand Théâtre de Genève
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