Attendue de longue date, la réouverture des lieux culturels se met petit à petit en place, à Toulouse comme dans le reste du pays. Dans la ville rose, le Théâtre du Capitole et son directeur piétinaient d'impatience depuis plusieurs mois, ce après un début de saison lyrique en septembre très rapidement écourtée par la crise sanitaire. Ce 23 mai, l'opéra reprenait avec l’œuvre phare de Verdi, La Force du destin, non sans quelques aménagements. En effet, comme l'explique le directeur Christophe Ghristi en incipit, la limitation des déplacements sur scène impose de fait une version concert de l'opéra, du fait de ses nombreux chœurs et scènes de foule. L'enjeu étant de parvenir à renouer avec le public malgré les entraves, l'opéra est donné pour les dates en semaine dans un format abrégé d'1h45 afin que chacun puisse retourner à ses pénates en temps et en heure. En version intégrale, cette première était dédiée à la mémoire de Nicolas Joel, ancien directeur du Théâtre du Capitole de 1990 à 2009, décédé en juin 2020.
Sous la direction de Paolo Arrivabeni, l'Orchestre National du Capitole lance les premiers coups de semonce du destin avec clarté et application. Le mélange des timbres lors de l'ouverture et des passages instrumentaux est parfaitement synchrone et délicieux. L'orchestre sera toujours au service de la voix cet après-midi. De même, le Chœur du Capitole, tour à tour en arrière-plan sur scène, en coulisse ou disséminé dans les balcons, dont les membres chanteront avec masques et d'autres non, est toujours impeccablement intelligible et flexible. Des chœurs virils de soldats ou de soiffards aux chœurs pieux et religieux de certains actes, toutes les nuances sont illustrées à merveille. Le rendu sonore général est d'une exceptionnelle qualité.
Pour ses débuts verdiens au Capitole, Catherine Hunold est parfaite dans son rôle de Donna Leonora, illuminant la salle avec une palette vocale extrêmement riche, du murmure étouffé de l'acte I aux élans religieux et amoureux des actes suivants. Son pendant Amadi Lagha (Don Alvaro) expose quant à lui une puissance vocale particulièrement spectaculaire qui vient défier le destin avec un timbre clair et un vibrato très marqué et expressif. Le ténor restera en effet forte presque toute la représentation, atteignant des fortississimos impressionnants lors des moments les plus intenses. Dans un ambitus évidemment différent, Gezim Myshketa (Don Carlo de Vargas) reste plus raisonnable mais tout aussi dynamique. Les trois artistes parviennent à figurer l'action par leurs seules voix : l'accumulation de tension dans le duo-duel final entre Alvaro et Carlo est par exemple si intense qu'il n'est pas nécessaire de la voir figurée ! L'éloquence verdienne, très bien servie ici par les trois chanteurs, semble se suffire à elle-même.