Le samedi 30 janvier 2016, l'Auditorium de Radio France proposait pour la première fois un opéra dans son intégralité (en version de concert). Au programme, La Ville morte (« Die tote Stadt »), œuvre lyrique de Korngold créée en 1920, qui comme son nom ne l’indique pas déroule une musique extrêmement chaleureuse, d’un lyrisme irrésistible, bien plus colorée que mélancolique. Marzena Diakun, cheffe assistante auprès de Mikko Franck, dirigeait un Orchestre Philharmonique de Radio France en pleine forme et une distribution vocale fort convaincante dominée par la soprano Camilla Nylund. Une soirée resplendissante de beauté.
« Le bel canto moderne a atteint dans cet opéra sa forme la plus riche : tout est chant et mélodie ». Dans ce commentaire au lendemain de la création, le critique Richard Specht résume tout à fait l’effet de délice perpétuel qu’on ressent durant les trois actes de La Ville Morte. Le style d’Erich Wolfgang Korngold possède des charmes innombrables, qui se perpétuent en se renouvelant sans cesse au fur et à mesure de l’évolution de l’opéra. Les voix sont traitées avec une ampleur et une souplesse telles que l’allemand paraît la langue la plus chantante au monde ; les harmonies sont délicates, raffinées et intenses ; les lignes mélodiques, qu’on pourrait souvent croire issues de la plume de Mahler, Wagner ou Strauss, sont servies par une orchestration riche et chatoyante, modulée selon l’intensité dramatique.
L’intrigue est inspirée de textes de l’écrivain belge Georges Rodenbach (Bruges-la-Morte et Le Mirage), à partir desquels Korngold aidé de son père rédigea lui-même le livret d’opéra. L’action est assez simple pour ne pas accaparer toute l’attention, mais assez puissante pour susciter des émotions variées. L’histoire se déroule à Bruges. Paul ne parvient pas à se consoler de la mort de sa femme, Marie, et vit avec son souvenir. Il rencontre une certaine Marietta qui ressemble à s’y méprendre à la défunte ; il est séduit immédiatement. Il découvre pourtant que la jeune femme, danseuse, actrice, artiste, est avant tout une dépravée, qui aime surtout s’amuser et sortir avec des hommes différents. Paul est pris de remords, mais il reste tiraillé entre la fidélité qu’il a promise à son épouse défunte et son désir incontrôlable pour cette belle vivante qu’il assimile confusément à sa regrettée Marie. Un jour, Marietta défie Paul d’oublier la morte et de la choisir elle une fois pour toutes. Excédé, Paul l’étrangle avec la mèche de cheveux de Marie, à valeur sacrée. Il s’éveille alors, comprenant qu’il s’agissait d’un rêve. Ce songe le décide à commencer une nouvelle vie, libérée du souvenir du passé.