Vendredi 7 décembre. Dans la journée, les dépêches tombent les unes après les autres. Face aux manifestations prévues, devant les risques de débordements, la Maison de la radio annonce qu’elle fermera ses portes le lendemain. À l’Opéra, même topo : le rideau ne se lèvera ni à Garnier, ni à Bastille. Idem à la Philharmonie, pourtant située bien à l’écart des rassemblements attendus ; au ministère, le principe de précaution l’emporte sur la raison. Bientôt, la majorité des scènes parisiennes doivent se faire à cette idée : loin de l’atmosphère traditionnellement festive de décembre, samedi 8 sera un désert culturel.
Dans ce contexte, la programmation décalée de l’Ensemble intercontemporain ce vendredi à la Philharmonie paraît plus actuelle que jamais. Loin des costumes à paillettes et autres musiques féériques de saison, le Requiem de Ligeti, avec son déploiement au-delà du temps et son atmosphère d’entre-deux mondes, saisit le spectateur pour ne plus le lâcher. Les voix du Chœur National Hongrois se lèvent une à une, s’agrègent en un murmure puis une masse informe, mue par une force intérieure irrésistible. La performance est extraordinaire car insoupçonnable : Ligeti exige un travail de fourmi, invisible à l’œil nu, inaudible quand il est parfaitement réalisé. C’est à peine si l’on voit un diapason se lever, de temps en temps parmi les chanteurs, pour contrôler une note dans la micropolyphonie de l’ouvrage. Soutenu par une justesse parfaite, le flux des voix progresse en un tsunami au crescendo infernal.
Face aux éléments, la baguette de Matthias Pintscher ne se contente pas de délivrer précisément la mesure. Le chef s’active comme un beau diable, lançant idéalement l’orchestre dans le tumulte foisonnant du « Dies iræ ». Après deux premiers mouvements plus appliqués qu’habités, les jeunes cordes de l’Orchestre du Conservatoire de Paris se plongent dans les contretemps de l’œuvre avec énergie, galvanisées par le chef et les solistes de l’intercontemporain. Des piccolos aux trombones, les timbres des vents se fondent dans le « Lacrimosa » final. L’équilibre entre les pupitres est remarquable, la synchronisation des attaques parfaite, avec une telle cohésion qu’on a l’impression d’entendre un seul instrument, un orgue aux jeux surnaturels.
Dans une partition qui met en valeur l’expression de la masse vocale et instrumentale, la prestation des deux solistes passe logiquement au second plan. Victoire Bunel livre cependant une interprétation d’une grande concentration, avec une remarquable gestion du souffle, quand Makeda Monnet brille par son intonation infaillible malgré la vélocité redoutable des traits.