On a rarement été aussi heureux que ce soir à l’Opéra de Paris. Pourtant il n’y a aucune star à l’affiche, ni tube lyrique ni ballet du répertoire ! Et la salle du Palais Garnier est archi-comble. Sont à l’honneur la crème des jeunes talents « maison », les élèves de l’École de Danse d’une part, les chanteurs de l’Académie et quelques membres de la nouvelle Troupe lyrique de l’Opéra, d’autre part. L’idée formidable du spectacle est d’associer dans une même soirée deux œuvres majeures de Ravel, le ballet Ma mère l’Oye et la « fantaisie lyrique » L’Enfant et les sortilèges, réunies par l’esprit d’enfance, la magie des contes de Perrault et le bestiaire enchanté de Colette.
La réussite est presque totale. Presque, parce qu’il a manqué dans la fosse le magicien de la baguette qui aurait pu enchanter les partitions si parfaites de Ravel. Ma mère l’Oye – qu'il s'agisse du ballet complet comme ce soir, ou de la suite d’orchestre qu’on donne généralement en concert – est un bijou d’orchestration, de magie sonore, de timbres féeriques. On a eu du mal à trouver toutes ces qualités sous la houlette routinière du chef allemand Patrick Lange, sans doute peu familier de la musique française. Le risque était moindre dans L’Enfant et les sortilèges où tous les tableaux sont réglés comme une mécanique de précision, sauf dans les passages plus oniriques où manque la dimension mystérieuse.
Mais ce qui se passe sur scène compense très largement la relative banalité de la fosse. Ma mère l’Oye est un enchantement de tous les instants. D’abord la simplicité d’un décor fait de quelques nuages blancs qui se meuvent au gré des douze tableaux du ballet, les lumières infiniment douces et chaudes qui enveloppent les danseurs, et les costumes eux aussi tout en nuances de blanc, qui se modifient imperceptiblement pour représenter successivement la Belle au bois dormant, la Belle et la Bête, le petit Poucet, Laideronnette, Curieuse et Barbe-Bleue, Le petit chaperon rouge et le loup, Les oiseaux, les Pagodes et les frères du petit Poucet.