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Bach et les Dolomites : correspondances minérales

Por , 25 julio 2016

Le paysage est aride, austère, tour à tour frappé de plein fouet par un soleil qui n’a jamais paru si proche ou submergé par des nuages en transit depuis la Vénétie vers les Alpes autrichiennes, plus au Nord. A 2500 mètres d’altitude, les Pale di San Martino – un des groupes dolomitiques les plus impressionnants avec ce cirque de pointes ressemblant à des tours tombant en ruine – offrent un cadre exceptionnel où les conventions qui régissent habituellement les concerts de musique classique n’ont plus prise. Le public prend place sur les pentes du haut plateau formant en contrebas du Rifugio Rosetta un amphithéâtre naturel, puis s'assied ou s’allonge à même la roche au milieu de bâtons de randonnée jonchant le sol. Seul le programme se rappelle à l’experience courante : deux suites pour violoncelle de Bach, interpretées ici par Mischa Maisky qui relève courageusement le défi de ces conditions hors-normes.

Le pari est en effet risqué. Cet espace ouvert, infini, n'offre aucune prise à la réverbération. Le son se révèle dans sa nudité la plus crue et disparaît aussitôt. L'adversité des conditions climatiques ajoute à la difficulté avec des écarts de température importants menaçant à tout moment l'accord de l'instrument. Dans de telles conditions, on comprend que Mischa Maisky ait mis un certain temps à s'adapter au lieu et entrer dans le concert. On le voit d'abord livrer bataille, non pas contre une quelconque difficulté technique, mais bien contre cet environnement ne permettant pas à l'instrumentiste d'occuper l'espace et d'établir différents plans sonores. Sans le confort des salles de concerts, plus favorables à la propagation des sonorités et résonances si riches du violoncelle, les attaques du Prélude sont nerveuses, sèches, lancées comme des coups dans le vide cherchant en vain un adversaire ne prêtant aucun flanc. Le tempo élevé dans la Courante s'avère une lame à double tranchant : la vélocité permet certes de maintenir la trajectoire du discours en palliant artificiellement la dispersion du son, elle entame en revanche l'élasticité des lignes mélodiques censée en renouveler constamment l'élan. Tout le long de la Suite n° 3 en do majeur, Mischa Maisky sera à la recherche du geste juste, d'un écho familier. Ce n’est que peu à peu, par degré, qu’il parvient à se faire à cette acoustique inflexible, et la Gigue finale témoigne enfin d’un souffle qui manquait dans les danses précédentes.

La seconde partie est toute autre. On sent le violoncelliste lâcher prise, et plutôt que de chercher la lutte, il se fait l'instrument du lieu pour en faire résonner l'esprit. La suite no. 5 partagera avec ces reliefs colossaux une dignité sévère. Sans excès, le soliste souligne ces harmonies empreintes d'une nostalgie douloureuse tempérée par une pudeur aristocratique, et parcourt cette architecture majestueuse qui se construit et s'élève peu à peu. Le Prélude est abordé avec un tempo hiératique qui permet une juste appreciation des conduites polyphoniques. L'appui est justement porté sur les basses que l'instrumentiste creuse pour s’assurer d’une assise tellurique et inébranlable. Une Allemande solennelle est sculptée au travers de ces rythmes pointés amenés avec la régularité du coup de burin. Le geste est ample, mais assuré et loin de toute affectation obséquieuse. Ce décor lunaire, inhospitalier à toute végétation, n'admet pas l'histrion superficiel, mais seulement l'artisan maître des ses outils, concevant son travail comme sentier d’édification spirituelle. La Sarabande aura ainsi sous l'archet de Mischa Maisky la gravité méditative d'un memento mori, avec cet ostinato régulier et uniforme d'arpèges plongeant à pic qui rappelle la verticalité implacable des pitons rocheux environnants.

C'est là toute la magie du festival I suoni delle Dolomiti : révéler les correspondances entre la musique et ces formations dolomitiques imposantes qui s'érigent dans la partie orientale du Trentin. L'expérience musicale, quand bien même considérée comme une métaphysique abstraite, demeure la conjonction de diverses hypostases : l'interprète, l'auditeur, l'œuvre, mais aussi le milieu. Dans un cadre pareil, l'expérience est forcément hors du commun.

*****
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“...plutôt que de chercher la lutte, il se fait l'instrument du lieu pour en faire résonner l'esprit”
Crítica hecha desde Rifugio Rosetta Giovanni Pedrotti, San Martino di Castrozza el 20 julio 2016
Bach, Suite para violonchelo núm. 3 en do mayor, BWV1009
Bach, Suite para violonchelo núm. 5 en do menor, BWV1011
Mischa Maisky, Violonchelo
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