Le paysage est aride, austère, tour à tour frappé de plein fouet par un soleil qui n’a jamais paru si proche ou submergé par des nuages en transit depuis la Vénétie vers les Alpes autrichiennes, plus au Nord. A 2500 mètres d’altitude, les Pale di San Martino – un des groupes dolomitiques les plus impressionnants avec ce cirque de pointes ressemblant à des tours tombant en ruine – offrent un cadre exceptionnel où les conventions qui régissent habituellement les concerts de musique classique n’ont plus prise. Le public prend place sur les pentes du haut plateau formant en contrebas du Rifugio Rosetta un amphithéâtre naturel, puis s'assied ou s’allonge à même la roche au milieu de bâtons de randonnée jonchant le sol. Seul le programme se rappelle à l’experience courante : deux suites pour violoncelle de Bach, interpretées ici par Mischa Maisky qui relève courageusement le défi de ces conditions hors-normes.
Le pari est en effet risqué. Cet espace ouvert, infini, n'offre aucune prise à la réverbération. Le son se révèle dans sa nudité la plus crue et disparaît aussitôt. L'adversité des conditions climatiques ajoute à la difficulté avec des écarts de température importants menaçant à tout moment l'accord de l'instrument. Dans de telles conditions, on comprend que Mischa Maisky ait mis un certain temps à s'adapter au lieu et entrer dans le concert. On le voit d'abord livrer bataille, non pas contre une quelconque difficulté technique, mais bien contre cet environnement ne permettant pas à l'instrumentiste d'occuper l'espace et d'établir différents plans sonores. Sans le confort des salles de concerts, plus favorables à la propagation des sonorités et résonances si riches du violoncelle, les attaques du Prélude sont nerveuses, sèches, lancées comme des coups dans le vide cherchant en vain un adversaire ne prêtant aucun flanc. Le tempo élevé dans la Courante s'avère une lame à double tranchant : la vélocité permet certes de maintenir la trajectoire du discours en palliant artificiellement la dispersion du son, elle entame en revanche l'élasticité des lignes mélodiques censée en renouveler constamment l'élan. Tout le long de la Suite n° 3 en do majeur, Mischa Maisky sera à la recherche du geste juste, d'un écho familier. Ce n’est que peu à peu, par degré, qu’il parvient à se faire à cette acoustique inflexible, et la Gigue finale témoigne enfin d’un souffle qui manquait dans les danses précédentes.