L’Orchestre Pasdeloup revient à la Philharmonie dans un programme varié qui mêle les musiques de Prokofiev et de Beethoven à celle de Katya Saariaho, compositrice finlandaise largement à l’honneur le mois dernier lors du festival Présences de Radio France. Au pupitre, le chef ukrainien Mykola Diadiura, avec le pianiste Abdel Rahman el Bacha.
Œuvre déroutante par sa brièveté, Forty Heartbeats de Katya Saariaho est faite de courtes sections dont l’ordre d’exécution et laissé au choix du chef d’orchestre. Dans l’interprétation de Mykola Diadiura, l'œuvre débute dans le suraigu d’un son irisé des violons, puis s’attarde dans une section statique, contemplative et descriptive, qui semble proche des paysages nordique. Chaque section apporte sa couleur spécifique, et l’orchestre parvient à exprimer ses couleurs comme par touches, qui ne sont qu’esquissées.
Le deuxième concerto de Prokofiev est sans conteste un monstre sacré du piano. Il faut du cran pour l’aborder, une technique sans failles, et surtout une témérité doublée d’une fureur et d’une obstination irrationnelle pour ne pas craindre de se jeter dans l’abysse la tête la première, et d’être littéralement englouti par cette musique qui ne laisse personne indemne, ni le pianiste ni les auditeurs. La folie du risque est de mise, et le pianiste doit être toujours à la limite de la rupture, faire preuve d’un engagement complet et dépasser les zones de confort s’il a le luxe d’en trouver. Là est justement le reproche que l’on fait à Abdel Rahman El Bacha : son incomparable maîtrise technique le dessert, en ce sens qu’elle lui donne la possibilité de tout contrôler.
Le pianiste parvient à maitriser chaque déferlement d’accords, mais cette maîtrise bride la spontanéité et l’inconscience pourtant de mises dans ce concerto. Où est ce gouffre béant qui menace à chaque instant de tout engloutir, où est cette respiration haletante ? Abdel Rahman El Bacha ne prend que peu de risques, et donc ne surprend pas. Le tempo relativement lent lui permet d’atteindre une grande clarté dans le discours, mais est-ce vraiment cette clarté presque froide que l’on attend dans la cadence dévastatrice de l’Andantino ? La clarté et la maîtrise s’atteignent au détriment de l’engagement et de la dimension démiurgique. Les mains du pianiste font des grands bonds du clavier, avec une technique fondée sur le rebond plus que sur l’économie de mouvement, n’hésitant pas à prendre de la hauteur pour retomber avec une précision implacable sur les touches. L’énergie est là, mais le côté frondeur et acéré fait défaut, et le discours est par trop systématique, manquant d’espace et de respiration, ainsi que d’intimité dans l’énoncé du thème initial en sol mineur.