Un mot s’impose face à un tel concert, la conduite : conduite du phrasé, conduite des timbres, conduite des sentiments… Des sentiments ? Oui, car la Pastorale de Yannick Nézet-Séguin n’était pas tant figuralisme de la nature que le miroir des états d’âme d’un homme face à cette nature. Alors oui, il existe d’autres conceptions, et de Haydn (en première partie) et de la Pastorale, mais la conviction avec laquelle Nézet-Séguin et l'Orchestre de Chambre d'Europe ont défendu la leur à la Philharmonie faisait taire toute objection de principe.
Je l’ai déjà écrit au lendemain de sa Titan au Théâtre des Champs Elysées, j’aime infiniment la direction de Nézet-Séguin, son juste équilibre entre carrure et sensualité, sa conception très courbe de la temporalité. On peut être exaspéré par cette volonté de tout vouloir incarner, de tout vouloir humaniser, mais il en résulte toujours un réel bonheur d’expression, et un ton particulier, qui sont tout simplement la marque d’un style. Et ce n’est pas seulement l’approche, mais encore l’enthousiasme dont il est capable, qui rendent bon nombre de ses concerts inoubliables.
Dans Haydn, c’est la vigueur et l’engagement physique. La Symphonie n° 44 "Trauer" est saisie à bras-le-corps, bouillonnante et charnelle. Ici, la clarté polyphonique rend pleinement justice à la jubilation des pages les plus énergiques (l’Allegro con brio, mais surtout ce Finale sur les chapeaux de roues). Fidèle au poste, Lorenza Borrani (violon solo) mène son pupitre avec franchise et précision sur la durée, anticipant admirablement les attaques (elles sont nombreuses dans le dernier mouvement). Derrière elle, les musiciens ne perdent pas un seul geste, pas une seule caresse du chef : modelé quasi obsessionnel de l’enveloppe sonore qui aurait toléré orchestre plus lourd, plus bruyant ; avec phalange aussi vive, aussi immédiatement réactive que l’Orchestre de Chambre d’Europe, Nézet-Séguin était à deux doigts de surjouer !
Le miracle est tout autre, en présence de Jean-Guihen Queyras. Là, c’est l’équilibre sonore, la déclamation très aérée, le vibrato fruité du violoncelliste qui l'emportent… quand bien même l’acteur central, l’ordonnateur du tout reste Yannick Nézet-Séguin. Suspens poétique dans l’Adagio de ce Concerto n°1 en ut majeur (Hob.VIIb:1) : Jean-Guihen Queyras témoigne d’un parfait dosage des masses, sachant alterner tenues incisives et de belles relâches vibrées « à la Shafran ». On pourrait gloser longtemps sur l’authenticité stylistique d’un tel jeu, mais est-ce bien nécessaire à ce degré d’épanouissement expressif ?