À la veille de son ouverture officielle, le festival annuel des illuminations lyonnaises s’est invité à l’Auditorium. La programmation festive et innovante, associant la direction de Leonard Slatkin et la platine de Mason Bates aux lumières d’Yves Caizergues dans un répertoire américain est à la hauteur du défi : l’Orchestre National de Lyon, l’orgue de Mathias Lecomte et la Neuvième de Dvořák se parent d’éclats insoupçonnés.
La soirée commence à l’envers : au lieu de la clore comme il était initialement prévu, la Symphonie « du Nouveau Monde » de Dvořák ouvre le spectacle. Et c’est bien mieux ainsi – la luminescence de la soirée va en s’intensifiant. Les violoncelles proposent une entrée en matière sotto voce, très subtile, tandis que les cuivres (encore en mode économie d’énergie) surprennent par leur mollesse, qui contraste avec l’acuité parfaite des cordes aiguës. De son côté, l’excellente clarinette solo se montre méditative, le cor et la flûte piccolo bien adroits et articulés. À la fin de ce mouvement Adagio-Allegro molto, tout le monde y est : le hautbois gazouille son thème dans une légèreté staccato, la flûte est chaleureuse, les instruments à cordes gracieux. Et les cuivres retrouvent leur éclat épique : c’est Star Wars comme il faut, on commence à sortir les épées laser.
Pour sa part cependant, Slatkin a laissé tomber la baguette dans le Largo. Sur le doux tapis des cordes, d’une touchante innocence, le cor anglais égrène les notes de son folk song. L’équilibre des vents n’est pas parfait, leur justesse un peu à la limite (mais c’est un passage toujours redoutable). Néanmoins : les effets de ce mouvement encore très américain sont puissants et donnent vraiment la chair de poule. L’interprétation du Scherzo - Molto vivace en revanche a de quoi déconcerter : ces octaves établies entre cordes et timbales, qui sont toujours données d’une façon très tranchante, elles sont ce soir comme un œuf de quatre minutes, ni vraiment mollet, ni dur. Personnellement, ça ne me convainc pas. Mais le rythme ternaire ressort très bien, on se croirait dans les petites vallées de l’Ouest américain. Et les violoncelles de mimer la verticalité de la foudre qui s’y abat quelquefois. Enfin, dans l’Allegro con fuoco, les cuivres sortent le grand jeu. Les gestes précis de Slatkin sont suivis avec minutie par les musiciens, comme les effets de soufflets en crescendo-decrescendo. Le motif principal est étincelant, à l’instar de trois petites paillettes violettes qui volètent au-dessus de l’orchestre… La musique de film, la grande, avant l’heure, la voilà : quand on sait faire cela, pourquoi s’en priver ?
La deuxième partie de la soirée prend un tournant franchement électro. Le compositeur Mason Bates, qu’une parfaite complicité lie à Slatkin, est présent pour exécuter lui-même les gestes technos. Mothership, pour orchestre et électronique voit aussi s’adjoindre au tutti quatre jeunes improvisateurs de l’horizon lyonnais. Construit sur le principe d’un scherzo, la pièce constitue l’orchestre en « bateau de ravitaillement ». Ce n’est pas une musique vraiment figurative : les éclairs de lumière traversent la salle, le synthé de Bates et le tutti la transforment en boîte de nuit. De cette atmosphère générale se détachent les quatre riffs dans un esprit jazz : celui du jeune flûtiste Pierre Mendola y est le plus remarquable. Les pulsations finales des cordes font revenir vers l’élément liquide, pouvant évoquer soit le sonar du Mothership, soit les battements de cœur d’un embryon dans son liquide amniotique.