On aurait pu voir dans le choix d’exécution des œuvres – la Nuit Transfigurée d’abord, Brahms ensuite – une certaine facilité : laisser le public sur les notes moins tragiques de Brahms ne semblait flatteur ni pour l’intelligence de l’auditoire, ni pour la richesse d’écriture du digne successeur de Beethoven. C’était heureusement sans compter sur l’acuité d’interprétation de chambristes hors pair, à l’affut du moindre accroc ou tiraillement, et oublier la vraie idée derrière cette confrontation de styles : esquisser une histoire à rebours, du nouveau style allemand à leur ascendant mozartien, des déploiements post-romantiques à ce que Boris de Schloezer appellera la « liberté dans les chaînes ».
Une histoire qui, sans plaider pour le progrès en musique, dresse entre différence et répétition la nouvelle idée, schönbergienne, de variation : chez Brahms comme chez Schönberg, ce n’est plus exactement la variation wagnérienne, édifiant autour d’un leitmotiv des métamorphoses harmoniques, ni même une variation purement mélodique, qui sont à l’œuvre, mais le développement par variation du matériau musical. Le progrès n’y est jamais linéaire mais cyclique, non plus thématique mais climatique : la musique mute avec les humeurs qui la traversent.
A cette parenté formelle, mise en évidence par un souci similaire de précision dans le lyrisme et d’interprétation comme narration, se joint une parenté expressive, ne réduisant pourtant pas les deux compositeurs à une seule esthétique expressionniste – choix que l’exposition en cours aurait pu induire. L’alto de Florian Wallez et Marie-Christine Witterkoër chante ainsi avec la même poigne quand il remonte à la surface, mais sait chez Brahms toucher, en retrait, à un mezza voce plus rond. Les violons de Gaëlle Bisson et de Caroline Vernay, entre irrégularité des thèmes brahmsiens et franches discordances schönbergiennes, se permettent différents degrés de saillie, avec une justesse qui frise le miracle. Les tremolos brahmsiens des violoncelles d’ Emmanuel Gaugué et de Marie Leclercq, cotonneux, se font, d’un même geste, caverneux chez Schönberg. Seule semble évacuée la dimension slave de l’ensemble – souvent surjouée ailleurs – et les épanchements devenant, souvent chez Brahms, martèlement. D’autant que l’acoustique sèche de l’Auditorium ne pardonne ni faux départ, ni coup d’achet trop appuyé, et souligne la moindre entorse à l’homophonie.