Javier Perianes s’assied devant son piano au centre de la Halle aux grains, mais pas en face du clavier. À 90 degrés, sur le bord du tabouret, il observe l’Orchestre National du Capitole de Toulouse et son chef invité, Josep Pons. Il les écoute entamer « En el Generalife », la première des trois pièces des Nuits dans les jardins d’Espagne de Manuel de Falla. Quand son tour vient de lancer un arpège, il glisse discrètement sur son tabouret et rentre dans la musique. En grand familier de l'œuvre, il nous emmène avec lui, il nous raconte son histoire issue des « impressions symphoniques » du titre. C’est une musique expressive, qui se démontre ; Perianes ajoute à cela une ample pantomine : ses gestes portent, comme un revers de Federer qui s’achève dans l’élan, loin dans le dos. Et ses poignets incroyablement souples et plastiques lui permettent une approche détendue du clavier, jamais crispée. À chaque instant, chef et pianiste sont reliés par un fil, connectés l’un à l’autre. Ensemble, ils installent tout de suite une atmosphère serrée, comme une sourde inquiétude, pleine d’un amour angoissé dans la première pièce. Puis volage et chorégraphique dans la deuxième, et rutilante dans la dernière. En fait, tout est naturel, simple, vivant, évident.
Ces Nuits dans les jardins d’Espagne prenaient place au sein d'un programme inspirant, où le plus hispanisant des compositeurs français croise le plus imbibé de musique française parmi les compositeurs espagnols. Belle convergence des astres, dans une ville française imprégnée de culture espagnole, Toulouse, accueillant un chef et un pianiste ibériques !
En introduction du concert, l'ONCT avait donné à entendre l'« Alborada del gracioso », cette évocation palpitante et excessive de l’Espagne issue du cycle des Miroirs pour piano seul de Maurice Ravel. Pizzicati engagés, netteté des attaques, sensation de respiration entre les notes, grand respect des indications de nuances : on est embarqué par un Maître, l’orchestre comme le public sont sous le charme de Josep Pons. Au cœur de la pièce, le solo du basson de Guillaume Brun, plaintive pantalonnade du bouffon, émeut profondément. Et puis nous sommes à nouveau emportés par l’agitation, presque la violence, jusqu’aux explosions finales.