La seule affiche de ce concert réunissant Daniel Barenboim, Radu Lupu et la Staatskapelle de Berlin avait fait venir à Pleyel la foule des grands jours. Le programme comportait le Quatrième concerto pour piano en sol Majeur Op. 58 de Beethoven et une œuvre très rare au concert à Paris, la Symphonie n°2 en mi bémol Majeur Op. 63 d’Edward Elgar. La curiosité du public parisien n’étant pas sa qualité première on peut penser, sans grand risque de se tromper, qu’il était plutôt venu pour Radu Lupu, Daniel Barenboïm et Beethoven que pour Elgar…
Le quatrième concerto de Beethoven, véritable parenthèse entre les trois premiers opus encore baignés dans la musique du XVIIIème siècle et le cinquième pleinement beethovénien et ancré dans le XIXème siècle, est une œuvre originale qui, plus de deux siècles après sa création, continue d’étonner. L’exposition initiale par le seul piano du thème du premier mouvement et le mouvement central rempli de contrastes saisissants entrecoupés de silences inédits concourent à faire de cette pièce une œuvre fascinante, même si le rondo final est de forme et de style plus classique. Comme toujours, Radu Lupu gagne son piano d’un pas flegmatique, s’installe non sur un tabouret mais sur une chaise qu’il occupe jusqu’à son dossier les mains tendues vers le clavier. Avant même que le silence ne s’installe il joue avec présence, élégance et grâce le premier thème dans une belle nuance mezzo piano. Ainsi, le ton de cette interprétation au plus haut niveau est d’emblée donné. Et Daniel Barenboim, en musicien exceptionnel qu’il est, rejoint son ami de longue date (ils jouent ensemble depuis plus de quarante ans) sur ces mêmes sommets interprétatifs. Sa direction est à la fois présente, lumineuse, transparente, contrastée et élégante. Il faut dire qu’il dirige ce soir là l’extraordinaire Staatskapelle de Berlin, l’orchestre dont il est le directeur aimé et respecté depuis plus de vingt ans. Car si la leçon de piano et surtout de musique que livre avec sensibilité Radu Lupu durant tout le concerto est évidente, Daniel Barenboim offre ici à son collègue plus qu’un accompagnement. L’orchestre tantôt virevoltant, tantôt léger, toujours élégant et précis, et véritable personnage à part entière est un constant régal pour l’oreille. On a rarement entendu une interprétation orchestrale d'un tel niveau. La Staatskapelle de Berlin sonne avec une perfection, une noblesse, une lisibilité et une subtilité qui ne sont pas sans rappeler celles de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, même si les contrebasses ne sonnent pas tout à fait aussi rondes. Il n’empêche que le son d’ensemble est somptueux, toujours noble et dosé, le legato des cordes incroyable, les pizzicati impeccables et nuancés d’une manière stupéfiante, notamment dans un second mouvement d’exception au cours duquel le dialogue entre le piano et l’orchestre prend des allures suspendues. Dans le rondo final, tout n’est plus que syncopes, arpèges, trilles, contrastes et le piano et l’orchestre s’unissent enfin dans une véritable fête sonore rendue ici avec toute l’élégance, l’énergie et le rythme nécessaires. Du très grand art accueilli par un tonnerre d’applaudissements.