Ernst van Tiel, en noir, et, en blanc, Ludovic Bource, ont choisi ce soir des costumes emblématiques de leur collaboration, qui dure depuis avril 2011, lorsque le chef néerlandais enregistre avec le Brussels Philharmonic la musique du film bicolore The Artist. À l’opposé du chef-d’œuvre cinématographique, le compositeur de la bande sonore est tout sauf muet : talentueuse bête de scène, il chauffe la salle, l’invite à applaudir, rire et pleurer (on se sera dispensé du jet de tomates, en dépit de la proposition). Ses paroles seront bientôt suivies d’effets, relayés par une interprétation tonique et sensible de la vingtaine de numéros orchestraux proposée par l’ONL sous une baguette inspirée.
Et Ernst van Tiel n’a pas la tâche facile. Ce spécialiste de musique de film, qui a déjà fait formidablement revivre West Side Story en ciné-concert à l’Auditorium en 2015, doit se passer pour The Artist du prompteur qui indique la pulsation – ici, c’est sans filet, et on se demande combien de fois il a dû voir le film pour arriver à une synchronisation telle que les éclats de l’orchestre coïncident parfaitement avec le rire de George Valentin, comme avec l’aboiement du chien Jack (inoubliable Uggie, décédé de cancer de la prostate en 2015, après avoir été consacré par la Palme Dog à Cannes en 2011 pour ce rôle). Et justement, au tout début, le chef lutte pendant quelques moments avec des réfractaires parmi ses troupes, mais sa clarté et sa tonicité ont vite fait de leur imposer le rythme requis.
L’expressivité propre du film muet demande beaucoup à la musique: si ce n’est elle qui l’habille, il a l’air étrangement nu, comme le prouvent les scènes en quasi-silence, dans lesquels le protagoniste prend conscience du bruit des objets du quotidien : un verre posé sur un bureau (le premier son non-musical du film), ou la plume qui tombe par terre en provoquant un bruit énorme : splendide jeu avec l’horizon d’attente. Mais ce sont avant tout les états émotionnels des personnages que la bande son relaye. L’esprit lutin de Peppy Miller (Bérénice Bejo), la classe de George Valentin (Jean Dujardin), son indignation à l’égard de l’arrivée du film parlant, sa déchéance progressive jusqu’à la crise délirante, tout ceci, l’ONL le transmet au public grâce à une direction sensible.