Pretty Yende mériterait d’avoir une ascendance helvétique. Bien évidemment dans l’horlogerie. Dans le cadre des récitals « Grandes Voix » du Centre lyrique Clermont-Auvergne, la soprano sud-africaine s’est livrée le 20 décembre à un exercice de haute précision vocale. Technique irréprochable, franchise des attaques et rectitude de l’engagement, solidité de la ligne, projection claire et puissante : rien ne semble devoir manquer qui viendrait entacher sa réputation. Elle illustre magnifiquement cette conscience de soi que confirment ses indéniables dispositions. Que lui reprocher ? Certainement pas ce naturel si singulier dont elle irrigue La Promessa tirée des Soirées musicales de Rossini. La douceur des nuances qu’elle atteint demeure une pure splendeur, un ravissement. Et ce vibrato serré, sans aspérité, qui s’accomplit avec une orgueilleuse assurance sur un convaincant « Ne men per gioco v'ingannerò », quelle diva ne rêverait d’en maîtriser ainsi les ressorts expressifs ? Yende en traduit les séductions sans céder à de vaines coquetteries expressives.
Si elle convainc dans le justement redouté Vanne, o rosa fortunata de Bellini, c’est d’abord par son talent inné de l’évocation. Prédisposition qui l’exonère d’effets trop appuyés en lieu et place d’une incapacité narrative ou d’un déficit d’inspiration, deux écueils qui lui sont étrangers. L’intelligence mélodique aussi subtile que celle de Me voglio fa’na casa de Donizetti ne saurait pas davantage lui échapper. De la même manière que le phrasé virtuose ne prend jamais le pas sur l’intensité mélancolique de L’amor funesto.
Mais trop de perfection nuirait-elle par instant à l’imagination ? D’autant que le programme ne rechigne pas à la cohabitation d’esthétiques pas spontanément compatibles – sauf à donner dans la performance vocale digne d’un Fregoli. Le Debussy mélodiste de Pretty Yende souffre quelque peu d’une surcharge pondérale lyrique. Sans que la qualité du chant ne soit susceptible d’être remise en cause, le flirt belcantiste de Clair de lune peut faire regretter les fêtes galantes à la Watteau qui ont inspiré un Verlaine. Ceci dit, l’imprégnation plus spectaculairement extravertie en direction de l’aria peut s’avérer un choix défendable. Ce à quoi se consacre la soprano, non sans argument déclamatoire consistant en une insolente conviction dans l’aigu.
Apparition, sur un poème de Mallarmé, n’échappe pas à ce parti pris sans que l’on puisse lui faire grief de donner à proprement parler dans le contre-sens. La séduction du phrasé de Yende et sa parfaite homogénéité s’imposent en exemplaire leçon de chant, quand bien même ces vertus écarteraient la troublante mélancolie symboliste de l’œuvre. Avec Mandoline sur un poème de Verlaine, la soprano va épanouir des dynamiques certes très soutenues mais en déployant un timbre plus en adéquation avec l’esprit debussyste.