Il ne pleut pas, ne fait pas bien froid, mais la lenteur avec laquelle se font les contrôles à l'entrée de la Fondation Louis Vuitton laisse imaginer ce qui se passera cet hiver. La file s'allonge sur le parvis, les mélomanes présentent leur QR code à un, parfois deux agents, puis passent par l'unique portique d'aéroport qui donne accès à l'entrée attribuée aux récitals. Ne pourrait-on pas transférer tout ce toutim dans le bâtiment, comme cela se fait ailleurs ? Au moins, le public serait à l'abri.
Yoav Levanon entre côté cour, d'un pas lent et cérémoniel il se dirige vers le grand Steinway qui l'attend sur scène. Né en 2004, il ressemble au jeune Franz Liszt. Il en a le visage pâle et la silhouette fine, la coiffure, mais ses cheveux, impeccablement coiffés et laqués, n'ont rien de romantique ; ils ne bougeront pas au cours du récital. Le jeune homme prend son temps pour arranger ses poignets de chemise, tirer sur ses manches, attend de longues secondes pour poser cérémonieusement ses mains sur le clavier avant de se lancer dans les Variations sérieuses de Mendelssohn. Se lancer ? Pas vraiment. Il énonce le thème de façon précieuse et artificielle, excessivement nuancée, trop lente, les phrases tombent et les pianissimos détimbrés se perdent dans l'acoustique pourtant excellente de l'auditorium. La sonorité est claire, sans densité, la pédale traîne parfois un peu, le jeu est assez flou, bien que Levanon soit un virtuose accompli. Sentiment étrange d'écouter un grand, grand talent pianistique qui n'a cependant pas la fulgurance que pouvaient avoir Evgeny Kissin ou Nikolaï Lugansky au même âge. Jamais dans ces variations Levanon ne réussit à faire oublier la complaisance avec laquelle il détaille les variations lentes, la vitesse un peu creuse avec laquelle il expédie les rapides, perdant tout le temps de vue cette pulsation qui doit les unifier du premier au dernier accord.
On a peur pour la Fantaisie de Schumann qui suit. Et l'on a raison. Le premier mouvement est privé de son élan vital, instrumentalement bien réalisé, mais les épisodes s'assemblent de façon hétérogène, alternant les chichis expressifs, les pianissimos – ici aussi détimbrés – et les poses étudiées. Jamais on n'est happé par cette musique passionnée. Le deuxième mouvement est privé de tension jusque dans les pages finales dans lesquelles Levanon semble arranger le texte pour ne pas tomber à côté, ce que les plus grands pianistes n'évitent pas : il savent que la tension née de ces sauts inconfortables aux deux mains fait intrinsèquement partie de l'œuvre. Le finale est joli mais ce n'est pas ce que l'on attend de ce mouvement-confession. Il y a fort longtemps, Radu Lupu l'avait donné en bis, salle Pleyel, le dédiant à Annie Fischer dont on venait d'apprendre la mort. Et le regretté Nelson Freire avait joué intégralement l'Opus 17 à la Philharmonie dans un silence religieux laissant un souvenir inoubliable dans le cœur de ceux qui étaient là.