Après des études de chant au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon et un passage par la troupe de l’Opéra de Lyon et l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence, le baryton Stéphane Degout a progressivement conquis les plus grandes scènes lyriques. Cet été, il revient au Festival d'Aix-en-Provence pour y créer Pinocchio sur une musique de Philippe Boesmans et un livret de Joël Pommerat. L’occasion de s’entretenir avec cette grande voix sur sa relation avec la création lyrique contemporaine.
De quelles manières avez-vous été impliqué dans la création d’opéras contemporains ?
J’ai déjà participé à deux créations : La Dispute de Benoît Mernier en 2013 et Au Monde Philippe Boesmans en 2014 à la Monnaie de Bruxelles. Pinocchio, toujours de Boesmans, sera ma troisième création. J’ai également pour projet, dans un an à Covent Garden, le nouvel opéra de George Benjamin, dont je n’ai appris le titre et le synopsis que la semaine dernière.
Pour la petite histoire, j’ai rencontré Benjamin il y a un peu moins de deux ans, lorsque Covent Garden lui a passé cette commande et qu'il a fait savoir qu’il me voulait dans la distribution. Je suis allé chez lui, on a travaillé tout l’après-midi à chanter Pelléas, des mélodies et ensuite il m’a fait faire des exercices pour « prendre mes mesures », connaître ma voix, mon amplitude. C’était un peu intimidant. Katie Mitchell, metteur en scène de ce projet, et le librettiste sont venus pour qu’on se rencontre. Je pensais qu’on allait parler du projet. Au lieu de cela on a parlé du Pelléas donné à Aix l’été dernier. Mais je voulais en savoir un peu plus sur cette création, et j’ai posé des questions : « Qu’est ce que je chante ? Quel est mon personnage ? L’histoire ? ». Il y a eu un petit malaise. Katie Mitchell m’a répondu : « George ne parle pas de sa musique tant qu’il ne l’a pas finie. Personne ne sait de quoi il s’agit à part le librettiste et le metteur en scène ». Étrangement, j’ai eu une sorte d’élan de confiance et je me suis lancé dans cette aventure.
Pouvez-vous présenter le projet de Pinocchio de Boesmans que vous allez créer cet été au Festival d’Aix-en-Provence ?
Pour l’instant je n’ai que des parties de la partition. Le tout arrive progressivement. Il s’agit de la mise en musique d’une pièce de Joël Pommerat. Pommerat et Boesmans ont déjà entrepris ce genre de projet, notamment dans Au Monde. Nous avons ici exactement le même schéma de travail : Joël adapte une de ces pièces pour en faire un livret d’opéra que Philippe met en musique.
Quel message Pinocchio peut-il encore faire passer aux spectateurs de 2017 ?
Tout d’abord, il faut bien avoir à l’esprit que nous travaillons ici sur la version de Pommerat qui est déjà singulière. Joël a adapté le conte à l’époque actuelle. Les méchants de la pièce sont dépeints sous des traits contemporains. La crédulité, la manipulation de l’enfant sont des thématiques qui restent actuelles. Pour cette raison, Pinocchio n’a pas d’époque. Surtout, le Pinocchio de Pommerat n’est pas un joli bout de bois. C’est une création qui échappe totalement à son créateur (Geppetto) et dans le mauvais sens : à peine né il fait une crise d’ado.
Il y a une grande tradition du conte dans l’histoire de l’opéra. De Mozart et ses Singspiele, Rossini et sa Cenerentola, Bernstein et Candide, Stravinsky et le Rossignol ou encore Glass et sa Belle et la Bête. Boesmans s’est déjà lancé dans l’adaptation musicale du Conte d’Hiver de Shakespeare en 1999. Savez-vous quel sera le parti pris de cette adaptation tant au point de vue musical que théâtral ?
Il y avait quelque chose de féérique, voire de surnaturel par moments : le nez de Pinocchio très long, la fée immense et les apparitions de personnages avec des têtes d’animaux. Parallèlement, il y avait un côté très premier degré, un peu violent et cru. À l’inverse quand on a fait Au Monde, il n’y avait aucune féérie. Il s’agissait d’une famille de notre époque avec des préoccupations terre à terre et on s’enfonçait dans des méandres noirs de psychologie. Pour Pinocchio, je pense qu’il va retoucher encore un peu le conte. C’est encore une surprise. De toute façon, la musique amène forcément quelque chose hors du temps.
Dans Pinocchio, vous avez trois rôles à jouer : le directeur de troupe, un escroc et un meurtrier. Quels visages, quelle signification ont ces personnages ?
Il y en a un de plus ! Ce que je sais se limite à ce que j’ai vu de la pièce. Le directeur de troupe est une sorte de Monsieur Loyal qui présente et parle vraiment au public, en évoquant ce qui va se passer. Je pense qu’il sera microté comme dans la pièce. Porter un micro est évidemment une contrainte, mais cet instrument peut s’avérer une nouvelle opportunité pour le compositeur. Les autres personnages sont ceux du conte, dessinés à gros traits dans des scènes relativement courtes qui vont à l’essentiel.
Comment décririez-vous la musique de Boesmans ?
Je trouve que sa musique est de la musique contemporaine qui ne sonne pas comme de la musique contemporaine (rires). Cette musique sonne bien et se chante bien, ce qui est très agréable, elle est immédiate.
Boesmans est très soucieux du confort de ses chanteurs et n’hésite pas à réécrire les parties qui ne conviennent pas à leur voix. Il ne vient pas avec un système d’écriture très ancré et formaté. Il s’adapte énormément à qui il a en face et dans Au Monde, il a vraiment écrit pour nous. À l’inverse, dans La Dispute de Mernier, la musique était beaucoup plus difficile et l’on avait moins de flexibilité. Tout était extrêmement écrit, ce qui permettait un résultat très fort mais ce qui était moins évident pour les chanteurs.