À l'occasion de la reprise de la mise en scène des Dialogues des Carmélites par Olivier Py au Théâtre des Champs-Elysées, où elle interprète le rôle de Madame Lidoine, la soprano Véronique Gens se confie avec sincérité et vivacité d'esprit sur son personnage, son attachement au répertoire français et son désir de toujours être au cœur de découvertes artistiques. L'artiste est généreuse, engagée, enthousiaste ; la femme est intelligente, réfléchie, accessible. Une façon de toujours aller à l'essentiel, en s'assurant qu'avant toute chose l'on a été bien comprise : il y a là un peu de son personnage de Madame Lidoine, et un peu de son idéal de cantatrice.
Pierre Liscia : Parlons un peu de Madame Lidoine. Qu'est-ce qui vous attire dans ce personnage ?
Véronique Gens : C'est un immense plaisir pour moi de chanter dans cet opéra. Le rôle de Lidoine est génial car l'œuvre est admirable ! Il se passe tellement de choses dans cette musique merveilleuse, touchante également quand on sait que ces Carmélites ont vraiment existé. Interpréter Madame Lidoine est assez complexe pour moi, car à part une scène de figuration (qui n'est pas dans l'opéra, c'est un rajout d'Olivier Py), elle entre en scène au milieu de l'opéra, au cœur du drame qui se joue, ce qui n'est pas forcément dans mes habitudes. Dans les Carmélites, après un premier acte extrêmement tendu, pesant, Madame Lidoine apporte sa simplicité, son humanité. C'est une femme de la campagne, elle a un côté un peu bourru, mais jamais prétentieux. Et la voilà qui se met à parler de cuisine, du romarin... Elle vient apporter un peu de lumière alors que la révolution a déjà envahi le carmel. Et puis bien sûr, Lidoine me plaît beaucoup par cette tension qui s'installe entre elle et le personnage de Mère Marie [interprétée par Sophie Koch, ndlr] qui, contrairement à Lidoine, vient de la noblesse. C'est la musique qui porte cette tension, notamment dans la différence de registre entre les deux personnages. Dans sa mise en scène, Olivier Py a réussi à faire de cette tension musicale quelque chose de vraiment intéressant.
Justement, quel a été le rôle d'Olivier Py dans votre appréhension du personnage et de son univers ?
Olivier est un collaborateur merveilleux. Vous savez, le moment où le metteur en scène explique son projet aux chanteurs est rarement le moment le plus passionnant du travail, mais avec lui, c'est totalement différent. On le sait assez peu, mais c'est quelqu'un d'extrêmement pieux, qui a reçu l'éducation des jésuites... Dans les Carmélites, c'est vraiment quelqu'un qui sait de quoi il parle.
Cette reprise constitue-t-elle quelque chose de spécial, alors que l'on a beaucoup parlé du rapport à la religion et des martyrs religieux après l'actualité tragique de ces dernières années ?
La reprise était prévue depuis longtemps, mais il est clair qu'elle arrive à point nommé. Ces temps derniers, le rapport à la religion, la question des martyrs, ont été au cœur des débats. Regardez Silence, le dernier Scorsese, un film bouleversant sur le sujet. Mais au fond, je crois que les Dialogues des Carmélites est un opéra qui parle toujours. La Révolution Française y est certes un tourment, mais c'est avant tout une toile de fond. Bernanos a écrit son texte à la fin des années 1940, et la Révolution n'était déjà plus franchement d'actualité ! C'est cela qui me fait penser qu'il y est question de quelque chose de plus large, de plus universel.
Vous avez déclaré que pour vous « la musique et le texte, c'est 50-50 ». Abordez-vous différemment un rôle quand le livret présente une telle qualité littéraire ?
Non ! Quelle que soit la partition que j'aborde, ce qui m'importe avant tout, c'est d'être bien comprise. Bien sûr, c'est très important dans les Dialogues car le texte est si beau et si fort, mais finalement, c'est toujours quelque chose de fondamental. Impossible de toucher un public sans cela ! Vous savez sans doute qu'à mes débuts, j'ai fait beaucoup de baroque. Il existe un tas de traités datant de cette période qui expliquent comment prononcer correctement telle ou telle voyelle... On finit parfois par s'arracher les cheveux tellement cela devient une obsession, mais je dois reconnaître que finalement, même sur un répertoire aussi éloigné que les Dialogues, cela apporte beaucoup.
Il y a quelques années, vous disiez que Lidoine représentait une « ouverture exceptionnelle » vers d’autres rôles : la Maréchale, Desdémone… Est-il en projet de les incarner prochainement ?
Je devais chanter Desdémone à Vienne l'année dernière, mais je suis tombée malade quelques jours avant la première, ça m'a rendue folle ! J'avais énormément travaillé pour ce rôle, d'autant plus qu'il s'agissait d'une reprise et qu'à Vienne il n'y a pour les reprises que quelques jours de répétition.
Pour ce qui est de la Maréchale, il y aura un concert où je chanterai des extraits de ce répertoire, je ne peux pas trop vous en dire plus pour le moment. Jusqu'à maintenant, on m'a souvent vue dans les mêmes répertoires. J'ai commencé par le baroque, puis j'ai énormément chanté Donna Elvira, Vitellia, la Comtesse... Aujourd'hui je suis très heureuse de voir que l'on me propose des rôles plus diversifiés.