La venue de l’Orchestre de chambre d’Europe à Paris est toujours un événement, tant cet ensemble s’est imposé au fil des années comme l’un des meilleurs orchestres de chambre. Orchestre apprécié par les chefs, qui, de Harnoncourt à Haitink, en passant par Ashkenazy et Blomstedt, vantent l’enthousiasme et l’implication de chacun de ses membres. Le concert de ce soir à la Philharmonie nous confirmera, un fil d’un programme exigeant, ses qualités rares.
Le deuxième protagoniste du concert est Sir András Schiff, musicien polyvalent, qui prône une vision de la musique où le musicien est décloisonné de sa spécialité, embrasse large, tant par le répertoire que par les moyens. Tantôt au piano, tantôt à la direction, s’improvisant même chef de chœur dans un bis, il convainc par la justesse de sa pensée musicale, mais l’œuvre concertante, le Concerto n°2 pour piano de Brahms, pâtit par la réalisation, qui n’est sans doute pas à la hauteur de la pensée. Il fallait au moins l’orchestre de chambre pour s’en tirer à si bon compte et soutenir de cette manière les tempi lents du pianiste, si bien qu’à l’issue du concert c’est avant tout l’orchestre qui aura marqué les esprits, plus qu'András Schiff.
Débutant un programme conçu avec une grande intelligence, le Ricercar a 3 de l’Offrande musicale de Bach est interprété au piano par András Schiff. Il faut du cran pour débuter un concert par l’énoncé du fameux thème du roi, entouré d’un orchestre silencieux et d’un public de 2000 personnes. Le son du Bosendorfer est clair, le toucher souple, et le pianiste sait différentier les trois voix sans les discriminer à outrance, pour un résultat sobre et équilibré. Le Ricercar a 6 est quant à lui interprété par six pupitres de l’orchestre : deux violons, deux altos, et deux violoncelles. Du jeu en noir et blanc, on gagne la dimension timbrique. Le premier alto entre, le violon le rejoint, puis le violoncelle, et les trois autres instruments. L’instrumentation et fascinante, car elle met d’autant plus en exergue la problématique de l’individu face au collectif, tandis que le flux contrapuntique, d’une densité extrême, gagne en matérialité non seulement par l’individualisation des timbres, mais également par l’individualisation des gestes : la note se fait coup d’archet dans le thème, alors qu’elle n’est pas si univoque dans les contrechants.