Parfum d’excitation ce mardi soir à l’Opéra Bastille : Terry Gilliam, l’éternel grand enfant, désacralisateur en chef des mythes intouchables, détonateur de zygomatiques sur petit et grand écran, donne pour la première fois son Benvenuto Cellini à Paris ! Avec ses passages de folie douce et bouffe, l’œuvre d’Hector Berlioz paraissait déjà en décalage avec son temps. Ajoutons la mise en scène d’un comédien génial et irrévérencieux, et nous voilà en position d’attendre une sacrée révolution à Bastille.
Le résultat ne se fait pas attendre : dès l’ouverture, un tramp façon Chaplin sort un contorsionniste d’une poubelle, des parodies de titres de presse sont projetées sur le décor, derrière un Cellini muet mais déjà loufoque en Arlequin débraillé. La salle ne tardera pas à exploser, avec irruption de circassiens en folie parmi les spectateurs et pluie de confettis multicolores… Le geste du metteur en scène s’accorde alors parfaitement aux délires du carnaval romain convoqué par Berlioz. Sur scène, on retrouve avec grand plaisir une foultitude de clins d’œil monty-pythonesques : décors en carton-pâte dignes d’un sous-sol de Camelot (c’est une maquette), apparition fastueuse d’un Pape dont on s’attendrait à ce qu’il dégoupille une sainte-grenade, légionnaires fantaisistes tout droit sortis de La Vie de Brian… Toutes ces allusions réjouiront les adeptes du facétieux Terry.
Le metteur en scène se heurte cependant à un écueil, et non des moindres. L’œuvre de Berlioz est complexe : des passages légers, comiques, presque dignes d’un Offenbach avant l’heure, côtoient des pages sérieuses et académiques, qui montrent les aspirations du compositeur au grand opéra français. Ce balancement malaisé, associé à un livret qui comporte son lot de platitudes, explique l’insuccès d’un opéra plusieurs fois remanié. Le comble, pour raconter l’histoire du fondeur le plus célèbre d’Italie ! Pour donner à cette œuvre composite la grandeur qu’elle ne mérite peut-être pas, il faut donc traquer les subtilités de l’orchestration berliozienne, rehausser le prestige d’un air coincé malhabilement entre deux transitions sans saveur… et il est surtout indispensable que la mise en scène, attentive aux limites de l’œuvre, adopte une vision d’ensemble pour coudre le patchwork en un tissu bigarré mais cohérent. Or Terry Gilliam n’offre pas ce regard surplombant. Le metteur en scène, pas si révolutionnaire, se contente finalement d’offrir une caricature du livret, convoquant ses circassiens à chaque cortège carnavalesque ou abandonnant ses personnages à l’immobilité la plus ennuyeuse dans une page morne.
Cette succession de temps (très) forts et (trop) faibles finit donc par lasser, d’autant que dans la fosse, Philippe Jordan peine à faire ressortir les aspects saillants de la partition. L’Orchestre de l’Opéra joue toujours aussi juste (les cuivres, souvent convoqués et toujours brillants, doivent être particulièrement salués) mais leur chef offre l’image inhabituelle d’un batteur de mesure inquiet pour ses troupes, ce qui empêche le souffle berliozien de balayer l’œuvre. Il s’agit peut-être d’un effet secondaire des processions délirantes qui envahissent le plateau, car l’ouverture, brillamment envoyée, avait laissé entrevoir de belles promesses avant le lever de rideau.