Notre-Dame de Paris, ballet composé pour l’Opéra de Paris par Roland Petit en 1965, est de retour à l’Opéra Bastille, trois ans après la mort de son chorégraphe. Ce spectacle, qui vient clore la saison 2013/2014 du Ballet de l’Opéra, est également un adieu ému à la scène du danseur étoile Nicolas le Riche.
Lorsque Roland Petit adapte à l’Opéra de Paris le roman historique Notre-Dame de Paris dans une chorégraphie éponyme, il conçoit une fresque fidèle à l’œuvre hugolienne et à la nature de ses personnages. Mais s’il reste proche du récit, le chorégraphe s’approprie véritablement l’œuvre en la transposant dans un imaginaire fantasque qui lui est propre : débauche de couleurs, rythmes endiablés, verve populaire d’une foule turbulente, univers bariolé et déluré du monde tsigane, passion électrique et mortifère. Dans une œuvre qu’il veut totale, le chorégraphe convie le compositeur Maurice Jarre, le créateur Yves Saint Laurent ainsi que le décorateur René Allio à concourir à sa création. Yves Saint Laurent crée ainsi une palette foisonnante de costumes unis et tapageurs, conçus selon lui comme « les vitraux d’une cathédrale ».
La musique de Jarre s’inscrit elle aussi à merveille dans l’univers bohémien de Roland Petit, avec de furieux rythmes tsiganes et l’entêtante mélopée d’Esmeralda – motif qui revient en leitmotiv tout au long du ballet. Le découpage en treize tableaux retrace efficacement l’histoire, tandis qu’une lumière crue tombe sans concession sur les personnages. Phoebus y est bien le capitaine fat et insensible que dépeint Hugo et qui entraîne la jeune et naïve Esmeralda dans un piège mortel. Frollo, personnage riche en nuances, semble plus névrosé que cruel, comme le représentent les tremblements qui l’agitent tout au long du ballet. Enfin, Quasimodo reste ce personnage disgracieux et animal auquel le borne Hugo qui, à la manière d’une bête sauvage, agit par instinct plus que par passion : « Il fit vingt fois, cent fois le tour de l'église, de long en large, du haut en bas, montant, descendant, courant, appelant, criant, flairant, furetant, fouillant, fourrant sa tête dans tous les trous, poussant une torche sous toutes les voûtes, désespéré, fou. Un mâle qui a perdu sa femelle n'est pas plus rugissant ni plus hagard. » (Notre-Dame de Paris, Victor Hugo).
Mais le génie de Roland Petit ne s’arrête pas au seul drame humain et réside surtout dans sa capacité à saisir le véritable protagoniste de cette histoire : le peuple. Véritable réquisitoire d'Hugo contre la peine de mort et la brutalité de la foule ignorante, Notre-Dame de Paris révèle une foule hideuse et grouillante, impitoyable et versatile, hors de tout contrôle. Les nombreux tableaux de groupe et leur fantastique rythmique – tels que le puissant tableau de la Cour des Miracles – retranscrivent avec justesse cette foule absurde et sans âme, qui trépigne, grimace, s’agite, s’acoquine dans des lieux de débauche et rit devant la mort.