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Les duos contrastés de « Dialogues II » au Théâtre des Champs-Élysées

Par , 29 avril 2025

Dans le cadre de la série TranscenDanses, la soirée « Dialogues II » réunissait la semaine dernière sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées cinq duos de chorégraphes vivants aux esthétiques variées. Entre l’ouverture et la clôture signées Mats Ek, figure éminente du XXe siècle, les styles contrastés de Samantha Lynch, Akram Khan et surtout Sharon Eyal ont offert un contrepoint rafraîchissant en plongeant en quelques secondes le public au cœur d’univers insolites.

A Sort of...
© Erik Berg

Malgré une durée totale légèrement frustrante (une petite heure incluant précipités et applaudissements), le panorama proposé est intelligemment construit et ose confronter des inspirations aux antipodes. Le duo extrait de A Sort of… de Mats Ek constitue une entrée en matière idéale. À mi-chemin entre symboles et narration, romantisme et malice, ce pas de deux interprété par Clotilde Tran et Johnny McMillan du Staatsballett Berlin sur une musique de Henryk Górecki invite à plonger dans une rencontre amoureuse pleine de tendresse, de doutes et de réconciliations. L’authenticité brute avec laquelle le couple incarne les affects de la chorégraphie à la fois dans leurs corps et leurs expressions amplifie l’intensité des mouvements pourtant simples qui s’enchaînent avec une fluidité confondante, selon la rhétorique propre à Mats Ek, reconnaissable entre toutes.

C’est un objet ô combien familier qui devient le centre de l’attention ensuite dans Couch : un canapé, comme le titre l'indique. Dans cette pièce de Samantha Lynch, le couple que forment Anaïs Touret et Douwe Dekkers du Ballet national de l’Opéra de Norvège gravite au son de L'Arlésienne de Bizet autour d’un meuble encombrant mais finalement propice à l’inventivité. Fortement humoristique, le ballet joue sur les variations rythmiques de la partition culte pour enjoindre aux corps de libérer – à l’aide des configurations rendues possibles par le canapé ! – des émotions de natures différentes, passant de l’attirance à la dispute, du regret à la complicité. Un moment sympathique sans grande profondeur pour autant (défaut sans nul doute imputable au format).

Couch
© Erik Berg

Avec Akram Khan et Mud of Sorrow, place au calme. Portés par la douceur d’une chanson folklorique corse, deux êtres (Aishwarya Raut et Claudio Cangialosi) se retrouvent dans une ambiance quasi méditative, unissant sans complexe leurs membres dans le clair-obscur qui règne au plateau. Si la relation charnelle est bel et bien suggérée, de manière délicatement implicite, la beauté de la scène réside précisément dans la poésie qui émane de l’union des corps, visibles presque exclusivement à travers les mouvements en miroir de leurs bras, principe racine d’une harmonie rare et infiniment apaisante.

Mud of Sorrow
© Erik Berg

Après ce moment de méditation, onirique et ressourçant, on assiste bouche bée au clou de la soirée. Avant même que les interprètes arrivent sur scène, la musique de Koreless provoque un saisissant tressaillement prémonitoire. À l’image de l’ensemble de son œuvre, Inspired by Into the Hairy de Sharon Eyal fascine de bout en bout – c’est d’ailleurs la pièce la plus longue, pour le plus grand bonheur du public. Deux hommes, qui en réalité ne sont pas genrés et évoquent des créatures mythologiques ou encore des algues, avancent délicatement sur demi-pointes en ondulant, comme absorbés par une force au lointain. Solidaires sans être connectés, ils se découvriront bientôt l’un l’autre avec suspicion, et de longs cheminements mèneront enfin au premier toucher – une montée de tension incroyablement réussie.

Inspired by Into the Hairy
© Erik Berg

Le travail de déliement des membres est tellement abouti qu’on oublie souvent qu’il s’agit de danseurs : Johnny McMillan et Juan Gil se laissent porter par des courants invisibles dont la puissance atteint chaque spectateur, l’électricité contenue au centre des épidermes essaimant presque par magie partout ailleurs.

Le dernier tableau est l’occasion de découvrir un extrait de la dernière création de Mats Ek, A Cup of Coffee, dansé par Ana Laguna et Yvan Auzely. Voir deux personnes âgées se livrer à un tel degré de sincérité mérite un respect incontestable, bien que le propos chorégraphique en tant que tel ne présente pas d’originalité hors du commun et déclenche un magma d’émotions ambigu et pas forcément plaisant. Plutôt qu’une préfiguration de l’approche de la mort, on aurait peut-être préféré en conclusion un récit plein d’espoir tourné vers l’avenir.

A Cup of Coffee
© Erik Berg


Ce spectacle a été coorganisé par les Productions Internationales Albert Sarfati et le Théâtre des Champs-Élysées.

***11
A propos des étoiles Bachtrack
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“le panorama proposé est intelligemment construit et ose confronter des inspirations aux antipodes”
Critique faite à Théâtre des Champs-Élysées, Paris, le 26 avril 2025
A Sort of... (extrait) (Mats Ek)
Couch (French premiere) (Samantha Lynch)
Mud of Sorrow (French premiere) (Akram Khan)
Inspired by Into the Hairy (Sharon Eyal)
A Cup of Coffee (extrait, French premiere) (Mats Ek)
Clotilde Tran, Danse
Johnny McMillan, Danse
Anaïs Touret, Danse
Douwe Dekkers, Danse
Aishwarya Raut, Danse
Claudio Cangialosi, Danse
Juan Gil, Danse
Ana Laguna, Danse
Yvan Auzely, Danse
Staatsballett Berlin
Ballet National de Norvège
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