La Cité de la Musique accueille l’Ensemble Intercontemporain dans une ambiance presque familiale, avec un public qui manifeste une aise toute particulière à ce cadre et ce milieu. Peter Eötvös est de retour à la direction de l’ensemble – qu’il détenait exclusivement entre 1979 et 1991. Le programme retrace l'histoire de l'ensemble : le concert débute sur Cadenza n°1, une création de Bruno Mantovani, figure phare de la musique contemporaine française. S’en suit Steine d’Eötvös lui-même puis, en deuxième partie, Dérive 2 de Boulez, l’initiateur de ce groupe maintenant un peu orphelin. En somme, c’est un retour dans le temps progressif qui s’opère.
Parmi les moments les plus forts du concert, on retrouve inévitablement l’intégralité de Dérive 2. La pièce, dense et impardonnable, s’ouvre sans fioriture ou délicatesse : l’auditeur sait ce qui l’attend, un florilège d’une écriture insatiable, d’une longueur qui semble infinie – 45 minutes éprouvantes, émotionnellement comme physiquement. Une musique qui perd l’auditeur, pour ne le retrouver que de plus belle à un autre niveau d’écoute. S’opère un lâcher-prise qui donne le vertige, une angoisse dans cette temporalité qui n’en finit pas. Et l’angoisse, c’est celle-là même qui intéresse le compositeur. Les musiciens l’exécutent avec une endurance tout simplement épatante. C’est leur musique, à un point qui ne se questionne plus. Le perfectionnisme qu’exige l’œuvre de Boulez est parfaitement maitrisé, et Eötvös, un des chefs les plus impressionnants qu’on ait pu voir dans ce registre. Il sait se faire oublier de façon admirable, tout en réalité accompagnant chaque intention, incarnant la clé de voûte de la musique qu’il dirige.
Steine est assez captivant d’énergie et de légèreté. De l’œuvre se dégage une part d’humilité et d’humour qu’on ne retrouve pas chez Boulez, et des paris intéressants pour la décennie durant laquelle elle fût composée – dont le fait de faire jouer les musiciens avec des pierres, ou encore d'utiliser la spatialisation comme outil stylistique, ce qui à l'époque n’était pas aussi systématique qu’aujourd’hui. Eötvös et les musiciens jouent entre eux comme des enfants, avec une amitié toute particulière et très touchante. Tout au plus regrettera-t-on que le minimalisme de la pièce soit parfois rendu un peu plat en raison d'un souci d’exactitude qui retire une part d’émotion.