Alors qu'en 1867, à Paris, La Grande-Duchesse de Gérolstein triomphait chaque soir sur la scène du Théâtre des Variétés, un journaliste voyait dans le succès de cet opéra-bouffe un simple phénomène de mode et prédisait la rapide infidélité du public. Aujourd'hui pourtant, l'œuvre d'Offenbach résonne dans la salle du Grand Théâtre de Genève et semble n'avoir rien perdu de sa bouffonnerie originelle. Comme ce journaliste il y a un siècle et demi, nous nous délectons de l'humour offenbachien et fredonnons en partant quelques bribes des couplets entêtants.
Pour répondre au goût du jour, la Grande-Duchesse a tout de même subi quelques petits ajustements. Qui s'amuserait encore aujourd'hui des allusions à la situation politique du Second Empire, des citations parodiques des opéras de Meyerbeer ou de Gounod qui parsèment l'œuvre, ou tout simplement de certaines expressions verbales devenues désuètes? C'est à l'équipe réunie autour du metteur en scène Laurent Pelly que revient le mérite d'avoir su réactualiser l'œuvre d'Offenbach. Deux séries de représentations dans cette mise en scène avaient déjà eu lieu au Théâtre du Châtelet en 2004, mais les décors avaient été détruits et nous pensions devoir nous contenter du souvenir laissé par une captation en dvd. En cette fin d'année, le Grand Théâtre de Genève a finalement recréé cette production, et ce, à notre plus grande joie.
Dans cette mise en scène, les libertés prises par rapport à l'œuvre telle qu'elle nous est parvenue sont d'autant de moyens pour mieux la servir. L'esprit d'Offenbach y est parfaitement restitué. L'adaptation des dialogues, les objets hétéroclites présents sur scène, nous renvoient à la trivialité du quotidien et contribuent à ridiculiser le caractère présumément noble des principaux personnages, qu'ils soient duchesse, prince ou baron. Les conventions scéniques sont mises à mal par des chorégraphies finement suggestives et par l'absurdité de certains décors. Chaque geste, chaque mouvement enfin semblent dictés par le rythme musical : à la baguette, Franck Villard trouve d'emblée le subtil dosage qui convient à cette musique, sans lourdeur, et communique l'énergie nécessaire aux danseurs, choristes et solistes qui se meuvent sur scène dans un ensemble d'une parfaite cohésion.