Au bal du 12 janvier au Wigmore Hall, les dames choisissaient leur cavalier et menaient la danse. Étourdissante, la violoniste néerlandaise Janine Jansen y a entraîné son pianiste Itamar Golan en maîtresse absolue, dégageant des pistes insoupçonnées aux lumières aussi colorées que variées. Le rapprochement entre Chostakovitch et Ravel pouvait surprendre, mais le caractère fantasque de chaque œuvre, leur haute sensualité ainsi que l’exigence d’une maîtrise parfaite de l’instrument étaient autant de points communs qui ne pouvaient être mieux servis que par leur interprète du soir. On n’en attendait pas davantage de l’une des plus grandes violonistes de sa génération : si elle n’avait plus besoin de nous l’apprendre, nous en avons eu tout du moins la brillante justification.
Ouvrir un récital avec le monument qu’est la Sonate pour violon et piano Op.134 de Chostakovitch relève du défi. Sans compromis, Janine Jansen impose d’emblée une sonorité aussi pure et glaciale qu’une belle journée d’hiver. Sans vibrato, d’une intonation parfaite, elle tire un archet englué dans la corde, le seul à résister encore, mais avec peine, à la fixité de sa stature. Car Janine Jansen est poussée à une concentration extrême, laissée un peu trop à découvert par le jeu du pianiste, qui manque dans ce premier mouvement de lui fournir assez d’harmoniques graves comme appui, bien que le clavier soit largement exploité dans ses registres extrêmes. C’est grâce à un contrôle sans faille qu’elle esquive le danger, dont la conscience a au moins le mérite d’exacerber la tension musicale. Ses cascades suraiguës fleurissent dans la douleur et éveillent un instinct de survie qui motivera le deuxième mouvement.
Nul drame plus violent que celui-ci : les premières mesures déchirent les cordes des deux instruments et en révèlent le grain. S’engage alors une course-poursuite effrénée (quel tempo !) où les grondements sombres et rageurs du piano traquent une bête affolée, étranglée de peur, qui court à perdre haleine vers une issue introuvable. L’archet est aussi déchaîné que la coiffure de Janine Jansen avec laquelle il flirte dangereusement…
Il est difficile de revenir à l’extrême dénuement de la passacaille finale après un tel déploiement d’énergie. Et pourtant les deux interprètes, sans même frémir, assènent les premiers accords du thème. Dans le vaste développement, le jeu de Janine Jansen est remarquable, toujours plein, sous-tendu par la passion qu’elle met à rendre chaque note audible. Le jeu du pianiste souffre légèrement de la comparaison lorsque sa partition se noircit et que l’archet devient flou ; il est moins distinct, moins ciselé, mais d’une humilité et d’un respect – tant du texte que de sa partenaire - qui en font toute la valeur.