Singulière destinée que celle de La Fille de Madame Angot qui, après avoir été l’un des succès les plus éclatants de la scène lyrique parisienne à la fin du XIXe siècle, entama une brillante carrière qui la conduisit jusqu’en Russie et en Amérique, avant de disparaître du répertoire de l’Opéra Comique en 1972, puis, progressivement, des scènes de province… Quelques reprises ponctuelles au tournant du siècle (au Châtelet en 1984, à Lausanne en 2010 dans une mise en scène d’Anémone) ne suffirent pas à réimposer l’œuvre à l’attention du public. Le concert proposé par le Palazzetto Bru Zane au Théâtre des Champs-Élysées (et l’enregistrement d’ores et déjà annoncé) auront-ils plus de chance ? On peut légitimement le croire à en juger par l’accueil triomphal réservé aux artistes en cette soirée du 30 juin.
Une évidence tout d’abord : l’œuvre est de qualité et mérite tout autant d’être redécouverte que bon nombres d’ouvrages du répertoire français récemment remis à l’honneur. L’inspiration mélodique y semble inépuisable, l’orchestration est soignée, la partition fait habilement alterner les pages simples et irrésistibles d’entrain avec certains morceaux plus recherchés, voire plus savants (le trio du dernier acte « Je trouve mon futur charmant »). Si l’ombre du rival Offenbach (dont le trône vacille au lendemain de la guerre de 1870…) s’entraperçoit ici ou là (dans les deux valses par exemple, notamment celle qui ouvre le second acte, entièrement chantée par des voix féminines selon un procédé typiquement offenbachien), Charles Lecocq utilise le plus souvent un langage et une esthétique tout à fait personnels, subtil mélange de légèreté, d’humour, d’élégance. Le livret, en revanche, reste parfois en-deçà de la musique : compliquant inutilement l’action au fil des actes, il possède un humour un peu sage et convenu, le XIXe siècle nous ayant habitués à des textes plus mordants et à un comique plus déjanté…
L’équipe réunie par le Palazzetto Bru Zane possède tous les atouts permettant de redonner vie à cette œuvre attachante : un Chœur du Concert Spirituel d’une belle implication (même s’il manque parfois de précision et n’est pas toujours suffisamment intelligible), et surtout un Orchestre de chambre de Paris précis, coloré, énergique. À sa tête, Sébastien Rouland propose une lecture particulièrement séduisante : sans estomper les contours rugueux ni les couleurs acides des pages les plus énergiques (les couplets satiriques de Clairette, son air de l'acte III, son second duo avec Melle Lange), le chef privilégie à juste titre la délicatesse et la poésie d’une œuvre qui en regorge.
Le plateau de solistes n’appelle que des éloges. Les petits rôles sont impeccablement tenus : Antoine Philippot, notamment, fait valoir une vraie vis comica dans le petit rôle de Louchard, et Matthieu Lécroart est un Larivaudière ridicule et désagréable à souhait. Quant à Ingrid Perruche, elle détaille les irrésistibles couplets de la mère Angot avec tout l’humour, les sous-entendus et la gouaille requis.
Mais l’œuvre demande surtout quatre chanteurs de premier plan pour les rôles principaux. Le benêt de Pomponnet est incarné par un Artavazd Sargsyan à la voix fraîche et légère et à l’impeccable diction. Au rôle du chansonnier Ange Pitou, rôle dans lequel on a plutôt l’habitude d’entendre des barytons (Jacques Jansen, Michel Dens, Gabriel Bacquier autrefois, Régis Mengus aujourd’hui), Mathias Vidal apporte lui aussi, outre son habituel art du chant, une diction très claire qui lui permet de faire un sort aux répliques les plus drôles de son personnage, qu’il pare d’une certaine désinvolture et d’un humour grinçant fort bienvenus.