Combien de fois cela arrive-t-il à l’auditeur, même à celui qui est venu une première fois dans une salle de concert, de se sentir faire part d’une communauté intime, voire d’une famille ? C’est ce qui est arrivé à nous tous ce vendredi soir à l’Auditorium de Lyon , à l’occasion de la clôture de la saison 2016-2017, qui va rentrer dans les annales du lieu, de la ville et dans la mémoire personnelle de chacun. Musicalement et humainement, si cette soirée était remarquable, c’est grâce à Anne-Sophie Mutter dans le concerto de Mendelssohn, grâce à l’ONL, qui a salué dans un hommage littéralement vibrant celui qui fut son chef pendant six ans, Leonard Slatkin, et bien sûr, grâce à ce chef lui-même, à qui échut un honneur tout particulier…
La Nostalghia pour violon et orchestre à cordes de Toru Takemitsu ouvre le programme. Hommage inspiré par l’œuvre du réalisateur russe Andreï Tarkovski (1983), la méditation fait alterner les parties solistes avec celles du tutti de cordes. Émergent en montant jusqu’au démanché, comme d’un lac, d’étranges harmoniques de cordes, tantôt frottées subtilement, tantôt si intenses qu’elles annoncent déjà toute la palette qu’Anne-Sophie Mutter va déployer dans le concerto. Sans être tendue vers une fin, la composition n’a pas d’ambition moindre que de vouloir « atteindre une sonorité qui possède l’intensité du silence » (T. T.).
Le très virtuose Concerto pour violon et orchestre en mi mineur (op. 64) de Mendelssohn est tout l’opposé de son prédécesseur, dans sa variété d’atmosphères et d’effets, grâce à l’interprétation élégante et passionnée, à la hauteur des attentes. Dans l’Allegro molto appassionato, la violoniste dégage des sonorités protéiformes, un sotto voce, un son ciselé et acéré, un velouté dans les graves, léguant le thème au hautbois. La petite harmonie montre toute sa délicatesse, invitant Anne-Sophie Mutter à la rejoindre à nouveau, qui y répond favorablement avec un coup d’archet soyeux. Préludant à l’Andante, flûte et basson préparent le terrain pour la soliste, dont l’attaque du deuxième mouvement est si douce qu’elle conforte le bébé de quelques jours qui s’endort au premier balcon, réellement. Une chasse coquette à travers bois et prairies s’ensuit : c’est le violon qui mène la danse, alors que la clarinette s’en va buller dans l’eau. Pétillant s’annonce le finale, et il tient sa promesse, c’est vraiment molto, molto vivace, et ce tempo révèle que l’enfant prodige de jadis devenue star mondiale a des exigences incroyables vis-à-vis de son propre jeu, et s’en montre digne au plus haut point. Les bravos ne fusent pas, ils tonnent, et l’Auditorium ne laisse pas partir Anne-Sophie Mutter à moins de trois bis. Le premier étant explicitement dédicacé au maestro, Leonard Slatkin s’assoit nonchalamment sur le bord de l’estrade pour savourer. Et à chaque fois que la violoniste ressort pour attaquer un nouveau bonus, il sort des coulisses en douce pour se faufiler à nouveau sur le bord de la scène, avide de ne pas en perdre une miette.