Après une version de Platée très réussie à l’occasion des 250 ans de la mort de Rameau, Robert Carsen renouvelle sa collaboration avec William Christie et les Arts Florissants cette saison. En janvier 2015, ce sont Les Fêtes vénitiennes de Campra (1710) qui sont proposées à l’Opéra Comique : un véritable spectacle, alliant musique exaltée et danses endiablées. Un pur joyau, jouissif sur tous les plans.
André Campra (1660-1744) n’est pas un compositeur très connu. À vrai dire, il l'est surtout de nos jours pour son déchirant Requiem, œuvre parmi les plus géniales du registre sacré, mais bien peu jouée dans le cadre des grandes institutions musicales. Campra excelle également dans un autre domaine : l’opéra-ballet, un genre qui favorise à son époque l’émergence de la comédie jusqu’alors absente du répertoire officiel.
Ce qui est incroyable, c’est que ce type si particulier d’humour et de théâtralité fonctionne merveilleusement bien aujourd’hui encore. Cette réussite évidente ne s’explique en aucun cas par le livret, qui sert seulement de prétexte aux réjouissances artistiques. Trois entrées (c’est-à-dire des actes séparés, reposant sur des intrigues indépendantes résumées dans leur titre) succèdent à un prologue explicitement intitulé “Le Triomphe de la Folie sur la Raison dans le temps du Carnaval”. La fête existe grâce à la réalité scénique de sa représentation, une réalité qui transcende la partition en illustrant ses intrigues sur des thématiques universelles et par conséquent forcément captivantes (séduction, amour, sexe, jalousie, caprices de la fortune, masques sociétaux...).
L’essence même de l’œuvre est portée à son plus haut niveau par le talent inégalable de William Christie, chef implacable, passionné, visionnaire. Pas une fois, au cours des quasi trois heures de spectacle, les Arts Florissants ne délivrent une seule note avec moins d’intensité, ni ne font défaut à l’énergie vibrante que leur maître leur transmet. La partition est rendue à la perfection ; mieux, elle est amenée à la vie, la vie dans son plus fol aspect, par l’ardeur frénétique qui anime les instrumentistes et leur chef suprême, “batteur de mesure” manifestement possédé.
Sur le plateau, tous les chanteurs font honneur à l’excellence de cette interprétation. La distribution s’avère extrêmement homogène, fait rare et très plaisant. Les solistes sont pourtant nombreux et incarnent plusieurs personnages ; il n’empêche, qu’il s’agisse d’Emmanuelle de Negri, Emilie Renard, Elodie Fonnard, Rachel Redmond pour les femmes, ou Marcel Beekman, Marc Mauillon, François Lis, Cyril Auvity, Reinoud Van Mechelen pour les hommes, les voix sont non seulement placées et timbrées mais surtout débordantes d’expressivité, de vitalité et de fantaisie. Le chœur s’inscrit dans la même veine et fait preuve d’une implication sans faille se manifestant jusque dans leur jeu dramatique, omniprésent et essentiel à la crédibilité de cette atmosphère festive à outrance.