Toute exécution de la Huitième Symphonie de Mahler est un événement, à la fois par sa rareté dans nos salles de concert (une fois tous les dix ans en moyenne sous nos latitudes bruxelloises) et par l’exceptionnelle ampleur de l’effectif exigé par le compositeur – ceci expliquant cela. Et il est vrai que le spectacle des forces rassemblées sur la scène de la salle Henry Le Bœuf du Palais des Beaux-Arts a de quoi impressionner, à commencer par les près de 120 instrumentistes principalement issus des rangs de l’Orchestre Symphonique de la Monnaie sérieusement renforcé – excellente initiative – par des collègues du Belgian National Orchestra, auxquels s’ajoutent les Chœurs de la Monnaie et de la Radio Flamande, rejoints par les voix aussi fraîches qu’assurées des Chœurs d’enfants et de jeunes de la Monnaie pour former une masse chorale de 160 chanteurs.
Le plateau bruxellois ne pouvant accueillir une telle foule de musiciens, le chœur féminin est massé derrière l’orchestre, les hommes étant placés au deuxième étage des avant-scènes de part et d’autre de la scène alors que les jeunes garçons et filles sont disposés de la même façon au premier étage ainsi que sur les côtés de la scène. S’y ajouteront huit solistes vocaux, le tout placé sous la baguette du chef Alain Altinoglu. Après ses récentes prestations wagnériennes, on attendait beaucoup de la part du directeur musical de la Monnaie dans cette musique démesurée qu’il faut savoir dompter. La première chose à dire est que le niveau technique et artistique de cette exécution s’avère extrêmement élevé tant de la part des chœurs, préparés à la perfection par Emmanuel Trenque pour les adultes et Benoît Giaux pour les jeunes chanteurs, que d’un orchestre à la colossale mais toujours maîtrisée puissance sonore, et qui n’exclut jamais la délicatesse quand la musique l’exige.
Dès le grandiose départ du « Veni creator », on comprend qu’en dépit des gigantesques ressources sonores disponibles, l’approche d’Alain Altinoglu – et cela ne fera que se confirmer tout au long de l’œuvre – ne consiste pas à clouer l’auditeur à son siège par une débauche de décibels mais à toujours donner la priorité à la musique et au chant, et ce par une vision aussi cohérente que maîtrisée de la partition. Ce n’est pas un chef à poigne de fer qu’il nous est donné d’entendre ici, mais un musicien aussi sensible que sérieux qui aborde cette gigantesque œuvre avec aisance, naturel et fluidité ainsi qu’une totale absence de clinquant qui rappelle beaucoup ce que faisait en son temps un Rafael Kubelík. Profondément musicien, Alain Altinoglu fait toujours prévaloir un chaleureux lyrisme et une sensibilité frémissante dans une œuvre où la tentation de vainement briller est grande. Et l’étonnant est que cette relative sobriété va beaucoup plus loin qu’une superficielle flamboyance qui ne mènerait nulle part.