Sir John Eliot Gardiner a été invité cette saison à faire un « voyage d’automne à Versailles », d’après l’intitulé du cycle. Après avoir proposé Orphée et Eurydice de Gluck début octobre, puis les Vêpres de la Vierge de Monteverdi début novembre, il interprète l’Orfeo de Monteverdi le 8 novembre, dans la célèbre Galerie des Glaces du château. Le premier opéra de l’histoire de la musique occidentale constitue non seulement un fondement du genre, mais aussi la source d’inspiration primaire ayant nourri l’expressivité si recherchée des deux ensembles de Sir Gardiner, The English Baroque Soloists et The Monteverdi Choir. Rarement des interprètes auront semblé liés aussi intrinsèquement à une œuvre. Chacune des beautés stylistiques de l’opéra est magnifiée par le naturel et la théâtralité avec laquelle elle est présentée. Une soirée d’exception, où aucun détail n’a échappé à la perfection du tout.
L’Orfeo date de 1607, mais il est une source de richesses inépuisable qui nous émerveille encore aujourd’hui. Composé en cinq actes avec unité de temps et d’action, il a pour sujet l’histoire d’Orphée et Eurydice, centrée sur la descente aux enfers d’Orphée pour ramener sa bien-aimée à la vie, auprès de lui. La musique s’appuie sur un livret en vers de Striggio, et développe des styles variés, qui dépeignent les sentiments des personnages, les évolutions de l’action, les changements d’atmosphère. Le prologue donne d’ailleurs la parole à une allégorie de la Musique : « je fais alterner les chants tristes aux gais », rappelle-t-elle, soulignant l’étendue de son pouvoir. C’est la soprano italienne Francesca Aspromonte qui chante ce rôle, et nous séduit immédiatement : timbre chaud et soyeux, parfaite maîtrise des couleurs et des nuances, présence scénique malicieuse et incarnée (en plus de chanter, elle joue successivement de la guitare baroque et du tambourin !).
Il est intéressant de remarquer que parmi les solistes, les timbres de voix sont assez différents, assez typés, et présentent pourtant une homogénéité incontestable. Le berger 1, Andrew Tortise, a par exemple un léger souffle dans la voix, mais cela ne trouble pas du tout ni sa diction ni sa technique assurée et habitée. La nymphe, Esther Brazil, s’exprime de manière claire et directe, avec un son pur, plein, rayonnant. Dès les premières notes confiées à Orphée, personnage principal qui a de très loin la partie soliste la plus importante, on comprend le potentiel expressif de Krystian Adam, tant scéniquement que vocalement, et son sens du drame vocal ; il utilise avec une aisance suprême sa voix puissante et lumineuse pour y faire passer les sentiments les plus contrastés, d’abord la joie inépuisable de l’amour, et plus tard le désespoir rageur face à la mort de sa fiancée. Eurydice est représentée par Mariana Flores, dont la voix superbe, éclatante, a l’immense mérite de sculpter les voyelles selon les intonations et l’intensité du mot.