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Antonio Pappano pétarade, Yuja Wang discourt : le LSO à la Philharmonie

Par , 18 septembre 2024

Antonio Pappano directeur musical du London Symphony Orchestra : l'alliance d'un des orchestres les plus précis et décoiffants au monde avec un chef réputé pour la ferveur de ses interprétations et la clarté de son geste avait déclenché une adhésion quasi unanime. Le début de cette association était l'occasion d'une tournée mondiale en grande pompe, avec pas moins que la superstar Yuja Wang. Leur passage à la Philharmonie de Paris, très attendu, n'a cessé de surprendre.

Antonio Pappano dirige le London Symphony Orchestra à la Philharmonie
© Charles d’Hérouville

Attachez vos ceintures : le concert s'annonce long, et fort en décibels. L'Ouverture de concert op. 12 de Karol Szymanowski en donne la couleur : en un petit quart d'heure, c'est presque un pot-pourri de Heldenleben, Don Juan et de la Tétralogie que l'on étale aux oreilles de l'auditeur, tant l'hommage aux grandes figures de la musique germanique de la fin du XIXe siècle confine ici à l'exercice de style. Pappano ne fait pas dans la dentelle, et laisse ronronner le moteur de son bolide orchestral. Le LSO brille en effet par la sonorité éclatante de chacun de ses pupitres. Rythmiquement, c'est de temps à autre un peu brouillon, l'information restant parfois noyée sous la masse sonore.

Plus tard, la rigueur rythmique apportée par Mahler à son texte, loin de l'effusion straussienne de Szymanowski, jouera en faveur de l'orchestre dans la Symphonie « Titan ». Pappano en éclipse la dimension vocale, entrelaçant les différentes strates mélodiques comme un tout vivant. Une sorte de version boulézienne gonflée aux amphétamines, le côté analytique en moins. Car ce qui intéresse Pappano, c'est la matière sonore plus que le discours lui-même, d'où ce sentiment parfois brouillon de masse compacte, qui étonne d'autant plus que le LSO avait tant brillé par la qualité de son architecture lorsqu'il était dirigé par Simon Rattle quelques mois plus tôt. Les pizzicati, par exemple, se chargent d'une véritable densité et d'un son en trois dimensions.

Le London Symphony Orchestra à la Philharmonie
© Charles d’Hérouville

Évidemment, les cuivres sortent grands gagnants de ce pari sonore, leur masse déferlant vers le public sans autre forme de procès – et sans guère de subtilité, il faut bien le dire. Le deuxième mouvement évoquerait presque Chostakovitch (lequel doit tant à Mahler), tant il s'appuie sur une harmonie cancanante et des cuivres gonflés aux anabolisants. La véritable réussite de cette symphonie restera son finale, dans lequel Pappano retrouve la profondeur dramatique qu'on lui connait si bien.

Auparavant, Yuja Wang nous avait livré du Deuxième Concerto de Chopin une interprétation très cartésienne. Bien loin des épanchements romantiques auxquels on était en droit de s'attendre, la soliste parvient à maintenir sous contrôle permanent un rubato extrêmement lisible et un jeu toujours magnifiquement perlé, à l'impeccable lisibilité. La netteté du discours est saisissante. La pianiste ne multiplie pas les couleurs du son, préférant ancrer l'expressivité de son propos dans le temps, jouant avec les lois de la gravité musicale pour amener l'auditeur de phrase en phrase, sans jamais rompre la continuité du texte.

Yuja Wang avec le LSO à la Philharmonie
© Charles d’Hérouville

Paradoxalement, cette vision manque parfois de cantabile ; on aurait aimé, notamment dans le deuxième mouvement, un piano qui chante plus qu'il ne parle. En bis, Yuja Wang joue la fameuse Valse op. 64 n° 2 d'une façon si différente qu'on croirait qu'une autre pianiste a pris place sur la scène de la Philharmonie. Ici, le style est tout en ruptures et en cassures rythmiques, l'inégalité du temps de la valse étant poussée à l'extrême – deuxième temps très tôt, troisième presque tard, voilà une version que le Concert du nouvel an n'aurait pas reniée. Interprétation fort déroutante, donc, mais finalement très réussie. Le très payant finale de la Septième Sonate de Prokofiev, percussif à souhait, ramène la pianiste dans l'univers qui l'a rendue célèbre ; la courte pièce remporte l'adhésion immédiate du public, impressionné par la qualité d'élocution et de définition de la pianiste chinoise.

***11
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“Une sorte de version boulézienne gonflée aux amphétamines, le côté analytique en moins”
Critique faite à Philharmonie de Paris: Grande salle Pierre Boulez, Paris, le 16 septembre 2024
Szymanowski, Ouverture de concert en mi majeur, Op.12
Chopin, Concerto pour piano no. 2 en fa mineur, Op. 21
Mahler, Symphonie no. 1 en ré majeur «Titan»
Sir Antonio Pappano, Direction
Yuja Wang, Piano
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