Le gratin de la diplomatie européenne se masse au premier rang de la salle Henry Le Bœuf de Bozar en ce lundi soir et, après un bref discours de l’ambassadeur d’Estonie en Belgique, c’est à sa compatriote et cheffe d’orchestre de la soirée d’en présenter l’objectif : l’idée est de célébrer l’amitié belgo-estonienne à travers un programme mêlant Arvo Pärt et Gabriel Fauré mais également grâce à la collaboration fructueuse de l’Estonian Philharmonic Chamber Choir et du Symfonieorkest Vlaanderen.
La thématique globale du concert autour des tourments d’Adam et du chemin vers le paradis est d’abord servie par la première pièce de Pärt, Silouan's Song, pour orchestre à cordes. Si la finesse d’exécution de la cheffe Kristiina Poska et de l’orchestre flamand est indéniablement séduisante, cela ne suffit pas à susciter notre intérêt tout au long de cette pièce qui accuse une linéarité et une monotonie assez froide. Adam’s Lament du même compositeur convoque le chœur sur un texte russe du moine Silouane d’Athos et propose une construction dramatique jouant davantage sur les contrastes. Servie à merveille par l’ensemble belgo-estonien, l’œuvre de Pärt nous fait entendre les complaintes d’Adam, tantôt teintées de métal et de colère (accords assénés et scansions), tantôt enveloppées de coton et de mélancolie (passages a cappella). La vision rectiligne de Poska possède quant à elle ses qualités et ses défauts : d’un côté, la mise en place, la science du détail et le mélange confondant des timbres produisent une interprétation parfaite sous toutes les coutures mais, de l’autre, cet objet impeccable devient par moment lisse et impersonnel, nous laissant un peu sur le bord de la route.
La tendresse et les couleurs du Requiem de Fauré viennent en partie effacer cette morosité. Kristiina Poska a choisi l’orchestration de 1901, réunissant le grand orchestre. Le joyeux bal des chaises sur le plateau laisse voir deux étonnantes décisions. La première est très pertinente : les altos sont placés aux premier et deuxième rangs de l'orchestre, tandis que les violons tapissent les autres rangs. Il s’agit certainement là d’un reliquat des premières orchestrations de Fauré où la partie de violon était réservée à un soliste ; la cheffe estonienne aura donc choisi de conserver l'aspect moteur des altos et de mettre leur son boisé en valeur. L’autre décision est moins heureuse : faute d’orgue (celui de Bozar restant inutilisable jusqu'en 2024 à la suite de l'incendie de l'an dernier), sa partie est confiée à l’harmonium, et force est de constater que ce timbre d’accordéon a du mal à trouver toute la poésie et le fondu de son cousin à tuyaux.