En amuse-bouche du concert de ce soir, les musiciens de l’Orchestre national de Lyon se réunissent d’abord en formation de chambre pour accompagner l’organiste lettonne Iveta Apkalna dans l’interprétation de la Kammermusik n° 7 de Paul Hindemith. Celui-ci n’étant pas organiste, il eut la modestie de laisser le soliste entièrement libre du choix de ses registrations. La liberté ainsi offerte permet de découvrir à chaque écoute une nouvelle vision de l’œuvre, selon l’interprète et son instrument. Ici, Iveta Apkalna montre sa recherche constante d’équilibre avec les treize musiciens, utilisant les différents jeux sur les différents claviers pour endosser, sans jamais brusquer, les diverses fonctions que lui suggère la partition : pleinement soliste qui répond avec sa propre personnalité à l’orchestre, co-soliste dialoguant avec un ou deux autres instruments ou parfois juste membre « ordinaire » de l’ensemble.
Le deuxième mouvement « Sehr langsam und ganz ruhig » (très lent et très calme) fait entendre un chant calme voire introspectif, très régulier, toujours en mouvement malgré le tempo lent. Les harmonies et les couleurs de chaque timbre peuvent alors évoluer naturellement, tout comme les mélodies qui semblent s’étirer infiniment. On ne peut qu’apprécier, particulièrement dans le tourbillonnant finale, la direction précise, droite et efficace de Riccardo Minasi, absolument nécessaire dans cette œuvre à la rythmique et au contrepoint complexes.
Après cet ouvrage, très intéressant mais sans doute peu reposant pour des oreilles non habituées à son discours dissonant et dense, une autre soliste est invitée : remplaçant Kate Aldrich initialement attendue, la soprano Elza van den Heever entre en scène pour les cinq Wesendonck-Lieder de Richard Wagner, mélodies sur des poèmes de Mathilde Wesendonck, femme du mécène du musicien et amante de ce dernier. On remarque de suite la beauté des cordes, assurément grâce au soin particulier de Riccardo Minasi, excellent violoniste lui-même, dont les élans emportent l’auditeur avec délice. L’intensité du sublime motif de la troisième mélodie « Im Treibhaus » – qui deviendra le leitmotiv de la tristesse dans le prélude du troisième acte de Tristan und Isolde – n’en est que plus forte. C’est à partir de ce numéro qu’Elza van den Heever se montre un peu plus présente, ce qui manquait précédemment, tant vocalement que physiquement. On aurait souhaité qu’elle déclame davantage ses textes poétiques et unifie sa projection, d’abord inégale par ses délicates propositions de nuances. Celles-ci sont plus sûres et encore plus appréciables dans la dernière strophe de « Im Treibhaus » comme dans le très beau « Traüme ». Son chant sincère et clair est parfaitement accompagné par le mouvement régulier et discret des cordes, ainsi que par les phrases des vents subliment menées.